Le Achoura communément appelé “Djon Mènè” à Bobo-Dioulasso est une célébration traditionnelle et religieuse qui se tient généralement 30 jours après la Tabaski. Pour l’édition 2025, cette célébration s’est tenue le 05 juillet 2025. A Bobo-Dioulasso, le Comité Culturel de la Génération des trois Testaments (CCGT) l’a célébré entre prières, bénédictions et immolations. A l’occasion de cette date, nous sommes allés à la rencontre de Abdoulaye Hema, actuel responsable du CCGT pour mieux comprendre les fondements et l’intérêt de cette pratique en islam. Dans cette interview, il a également donné sa lecture de l’actualité nationale et internationale. Lisez !
Ouest Info : Quelle est l’origine de Achoura ?
Abdoulaye Hema : Pour commencer, je voudrais préciser que le terme Achoura est arabe. En dioula, nous l’appelons “Tan Tanw” qui signifie plusieurs dizaines. Cette célébration n’est pas le fruit d’un hasard. En islam, c’est une pratique qui date. Si on doit entrer en profondeur, je dirais que cette pratique est antérieure au prophète Mohamed. La précision que je veux faire, c’est que l’islam n’a pas commencé avec le prophète Mohamed. L’islam a existé depuis Adam en passant par Moïse.
Revenant à l’origine de Achoura, il faut savoir que tous les grands miracles dans la vie des prophètes et de l’histoire de l’humanité ont coïncidé avec un 10è jour de mois d’où l’appellation Achoura qui signifie 10è en arabe. A titre d’exemple, le prophète Moïse a triomphé du pharaon le 10è du premier mois du calendrier africain. Dans la Torah, chapitre 12 verset 1 et suivants, Dieu a dit à Moïse et ses disciples de sacrifier des moutons pour pouvoir vaincre le pharaon. Ce qui fut fait et cette date a coïncidé avec le 10è jour du premier mois de l’année africaine. Dans la Bible, dans Genèse, le déluge du temps de Noé a coïncidé avec le 10è jour de ce mois.
Ces exemples pour vous montrer que ce n’est pas une célébration d’origine islamique. C’est une pratique bien plus ancienne qui a pris ses fondements dans les dates d’accomplissement des grands miracles qui ont marqué l’humanité et qui ont tous coïncidé au 10è jour du premier mois de l’année africaine. C’est ainsi qu’avec le prophète Mohamed, la pratique s’est perpétuée en référence à la Tabaski qui est célébrée le 10è jour du dernier mois lunaire du calendrier islamique. C’est eu égard à cette origine ancienne de la pratique que nous avons refait l’histoire pour tenir compte des autres prophètes qui ont connu cette pratique. Car nous vouons du respect et de la considération aux autres prophètes qui ont précédé le prophète Mohamed. Etant adeptes des trois testaments notamment la Torah, l’Evangile et le Coran, nous ne pouvons pas rester en marge de la célébration de Achoura.
Ouest Info : Pratique plus vieille que l’islam comme vous le dites, alors quelle est la place de cette célébration en islam ?
Abdoulaye Hema : Si vous voyez que nous sommes adeptes des trois testaments, c’est parce que nous considérons que Moïse, Jésus et Mohamed ont tous été musulmans. L’engagement du CCGT est inspiré de la demande de sacrifice de mouton de Dieu à Moïse pour triompher du pharaon. Quand Moïse a fait le sacrifice du mouton, il l’a mangé avec ses proches et Dieu a exaucé leurs prières et vœux. C’est ce qui nous a inspiré la célébration de Achoura. Mais pas que ça. Le CCGT avait été empêché d’exister à sa création. Le père fondateur (ndlr : le père fondateur du CCGT est Hema Djafar) en a fait les frais. Il a été emprisonné et même contraint à l’exil. Mais avec sa détermination, le CCGT a reçu beaucoup plus tard son autorisation d’exister et ça coïncider avec la période de Achoura. Vu que toutes les difficultés et les victoires que les prophètes ont connues ont eu lieu pour la plupart pendant les périodes de Achoura, le père fondateur du CCGT a vu en cela un appel à célébrer Achoura pour perpétuer la tradition. C’est comme ça que le CCGT s’est engagé dans la célébration de Achoura.
Ouest Info : Concrètement, que fait le CCGT pendant les périodes de Achoura ?
Abdoulaye Hema : Pour nous, Achoura est une période de prières, d’adoration, de bénédictions et d’immolations. C’est pourquoi depuis le début du mois de Achoura de cette année, nous faisons chaque jour des prières, des prêches, des invocations pour la clémence de Dieu afin que la paix revienne au Burkina Faso. Nous avons immolé nos animaux de sacrifice le jeudi dernier (ndlr : le 03 juillet 2025) pour faire comme Moïse et ses disciples l’ont fait pour triompher du pharaon. C’est donc pour vous dire que notre manière de célébrer Achoura est conforme aux écritures saintes.
Ouest Info : Vous dites avoir prié pour la paix au Burkina, justement quelle lecture faites-vous de la situation actuelle du Burkina Faso ?
Abdoulaye Hema : Nous pensons que la situation actuelle du Burkina est le fruit de plusieurs années de refus des dirigeants de regarder la réalité en face. A l’époque, le père fondateur du CCGT n’a jamais manqué l’occasion d’interpeller les dirigeants sur certaines dérives. Mais ils ont fait la sourde oreille et c’est le résultat que nous subissons aujourd’hui. Je pense que toutes les religions enseignent la justice sociale. L’islam et le christianisme prônent tous les deux cette valeur. Les adeptes des deux religions sont les plus nombreux au Burkina Faso. Si l’on avait observé cette valeur dans le pays, on ne serait pas dans cette crise aujourd’hui. Dieu nous l’aurait certainement épargné.
Mais maintenant que le mal est là, nous ne pouvons que prier pour que ça puisse finir. Mais la prière seulement ne suffit pas. Il va falloir que nous changions de comportement. Si nous ne revenons pas à Dieu en faisant des valeurs qu’il nous enseigne notre boussole, on ne s’en sortira pas.
Nous sommes heureux que les dirigeants du Burkina Faso, du Mali et du Niger qui partagent les mêmes difficultés, se soient donnés la main pour vaincre le mal. Mais en pareille circonstance, se donner la main seulement ne suffit pas non plus. Il faut qu’ils travaillent dans le respect des commandements de Dieu car c’est dans le droit chemin que Dieu apporte son aide. En plus de cela, ces dirigeants doivent regarder dans la même direction sans se trahir. S’ils s’entendent, ils vaincront les ennemis des trois nations quoi qu’il advienne. Dans cette dynamique, je souhaite que ces trois dirigeants se rendent mutuellement visite très souvent. Cela va davantage rassurer leurs peuples et ils seront davantage soutenus.
Ouest Info : En tant que leader religieux, quelle lecture faites-vous de la crise entre l’Israël et l’Iran qui fait souvent penser à une guerre religieuse dans certains milieux ?
Abdoulaye Hema : Je m’attendais à cette question. Et c’est l’opportunité pour moi de répondre à ceux qui dénonçait notre silence sur ce sujet. Il faut que les gens sachent que le CCGT analyse bien les choses avant de se prononcer avec preuves en main.
Pour ce qui est de la crise entre l’Israël et l’Iran, beaucoup de gens l’appréhendent comme une guerre religieuse. Pourtant, ça n’en est pas une. Pour comprendre cette question, il faut d’abord comprendre l’histoire entre l’Israël et l’Iran. Pour comprendre cette histoire, il faut se référer à la Bible. Le nom originel de l’Iran, c’est la Perse. L’Israël aussi n’existait pas sous son appellation actuelle. Ce territoire est né de la destruction divine de dix (10) nations qui avaient renié Dieu. Le nom Israël est le surnom du personnage biblique Jacob. Sinon à l’origine ce n’est pas un pays.
Il faut savoir qu’Israël est un territoire délimité auquel Dieu a donné une puissance mais avec une mission de médiateur entre les nations qui se mettront en guerre. Dieu a ordonné à ce pays de se contenter de cette mission et de juste se défendre en cas d’attaque. C’est ce que Dieu a dit à Israël dans la Bible.
Selon ce livre saint, il y a deux nations qui ne doivent pas faire la guerre sur cette Terre. Il s’agit d’Israël et de la Mecque (ndlr : Mecque est une ville de l’Arabie Saoudite). Dans la Bible, ces deux (02) nations sont faites pour être des médiateurs. Mais on remarque que ces deux (02) nations s’engagent aujourd’hui dans des guerres. L’une finance et l’autre se charge de faire les bombardements. C’est l’Arabie Saoudite qui finance les américains qui, à leur tour aide l’Israël à faire des bombardements. Vous comprenez que ces deux (02) pays ne respectent pas la volonté de Dieu. C’est pourquoi je vous dis que la guerre entre l’Israël et l’Iran n’est pas une guerre religieuse. C’est plutôt une guerre politique. Et Israël a décidé de violer les limites de sa puissance fixée par Dieu dans la Bible. C’est pourquoi Dieu a décidé de les laisser humilier par l’Iran. Sinon l’Israël est une puissance consacrée dans les livres saints. Si Israël avait raison dans cette guerre, un pays comme l’Iran ne pouvait pas l’affronter de la sorte.
Allez-y comprendre que ce sont les arabes qui financent les américains pour les inciter à pousser l’Israël à bombarder l’Iran. Et ce n’est pas tout le monde arabe, c’est l’Arabie Saoudite qui le fait. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a une vieille rivalité entre l’Iran et la Mecque (Ndlr : Mecque est une ville de l’Arabie Saoudite). Ce n’est donc pas une guerre religieuse. C’est plutôt une guerre politique financée par l’Arabie Saoudite et instrumentalisée par les Etats-Unis.
Ouest Info : Quel message à l’endroit des burkinabè en général et des musulmans en particulier en ce mois de Achoura ?
Abdoulaye Hema : Pour terminer, j’invite tous les leaders musulmans du Burkina à jouer franc jeu dans leur prise de position par rapport à la situation du pays. J’ai l’impression que certains leaders jouent un double jeu. Pour le moment je n’ai pas encore vu un imam défendre ouvertement le Capitaine Ibrahim Traoré à part le CCGT. De quoi ces leaders ont-ils peur ? J’invite donc les guides musulmans à sortir de leur cachette pour défendre la patrie dans leurs prêches. Pour la construction de la nation, j’invite tous les adeptes du CCGT à apporter leur part de contribution notamment à Faso Mêbo.
Réalisée par Abdoulaye Tiénon
tienonabdoulaye@yahoo.fr
