Situé à une dizaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso, Kôrô est un village atypique. En grande partie perché sur des rochers, ce village est un condensé de valeurs culturelles fièrement assumées par ses détenteurs. Chaque groupe socioprofessionnel joue pleinement son rôle. Les forgerons, maitre du feu et leurs femmes qui sont potières dominent en partie l’ambiance de la vie au sein de cette communauté dont les autochtones sont des bôbô. Une immersion dans une famille forgeronne le samedi 20 août 2022 a permis de toucher du doigt la réalité de vie de cette caste confrontée aux aléas de la modernité.
Pan ! Pan ! Pan ! C’est ce que l’on entend dans cette famille Sanou quand on se trouve à quelques mètres. Une fois sur les lieux, on s’aperçoit que ce sont des outils métalliques qui prennent forme entre des marteaux et des enclumes. Dans ce biotope, on se rend vite compte que le travail se fait à la chaine. Pendant que certains attisent le feu, d’autres rougissent le fer pour le passer aux maitres du marteau et de l’enclume. Dans cette nuée de fumée et d’étincelles, ces artisans allient art et savoir traditionnel entretenu par des secrets.

Dans le même environnement, des femmes sont à la tâche. Une tâche qui n’a rien à avoir avec ce que font les hommes. Dans un pétrichor qui embaume l’air, ces femmes malaxent avec maestria une terre argileuse. De mains habiles, elles donnent forme à des ustensiles. La fabrication de ces pots et canaris a un secret jalousement gardé par ces femmes de caste. Dans leur processus de travail, elles font recours au feu de la forge pour cuir leurs ustensiles. Ce qui leur confère leur solidité.
Que ce soit le métier de forgeron ou de potière, c’est un travail de caste. En réalité les forgerons et les potières forment la caste des forgerons. Et à Kôro, cela est bien visible. Dans chaque famille forgeronne, pendant que les hommes façonnent le fer, leurs femmes s’adonnent au travail de la céramique.
Selon Issouf Sanou, chef d’une famille forgeronne, « on ne devient pas forgeron mais on naît forgeron ». C’est selon lui une caste dont l’origine remonte au Mandé dans le Mali actuel. « Le travail de forgeron n’est pas une chose que l’on peut apprendre et exercer comme il se doit sans être issu de la caste. Ce sont des secrets qui entourent ce métier et il faut être de la caste pour les connaitre », explique-t-il. Dans la rigueur de la tradition, le rôle de cette caste était de fabriquer des outils pour les travaux champêtres. La solution à certaines situations sociales telles que les problèmes liés à la foudre relève aussi de leur ressort selon Issouf Sanou. C’est en un mot les maitres du feu.
Pendant que le septuagénaire donne des détails sur la caste, Abdoulaye Sanou et ses jeunes frères manient parfois à mains nues le feu et les métaux rougis par le feu. Preuves que les secrets de la caste sont bien assimilés et du coup, la relève au sein de cette famille est assurée.
En ce moment Fatima Sanou et d’autres femmes ont les mains enduites d’argiles. Dans un processus qui prend parfois plusieurs jours, elles alignent des canaris et des pots de tout genre et de toute forme. Selon Fatima Sanou, les potières sont de la caste des forgerons. « Quand on parle de potière, il faut entendre par là les femmes issues de la caste des forgerons. Il ne suffit pas de regarder comment on fabrique les pots et les canaris et décider d’en fabriquer aussi. C’est tout un art, c’est une technique et tout cela est enrobé de secrets transmis de génération en génération », a-t-elle expliqué.

Elle a cependant une crainte. Selon Fatima Sanou, leurs filles ne s’intéressent plus au métier de la céramique. « Les jeunes filles ne s’intéressent plus à ce métier. Elles trouvent que c’est un métier peu rentable. Alors que son caractère traditionnel et culturel prime sur son aspect financier. On n’a peur qu’un jour les potières se font rares pour perpétuer le secret du métier », s’inquiète-t-elle.
En attendant, des dabas, des houes, des pioches prennent forme sous les lourds marteaux des forgerons pendant que des potières alignent des pots et canaris qui attendent d’être mis sur le marché. Visiblement à Kôrô, les métiers de la forge et de la céramique sont beaucoup plus une identité socioculturelle qu’une activité économique.
Abdoulaye Tiénon




