20 octobre 1998 au 20 octobre 2025. Cela fait 27 ans que L’Express du Faso, seul quotidien burkinabè paraissant en région, existe. De l’information à l’éducation en passant par la sensibilisation, ce média contribue depuis plus d’un quart de siècle au développement local et national. Que représente ces 27 années pour ce média ? quels sont les défis et les difficultés auxquelles il fait face ? quelles sont les perspectives de L’Express du Faso pour les années à venir ? A ces questions, le directeur de publication du quotidien bobolais, Mountamou Kani répond dans une interview accordée à une équipe de Ouest Info ce mardi 21 octobre 2025 à l’occasion du 27è anniversaire de L’Express du Faso. Lisez !
Ouest Info : L’Express du Faso a fêté ses 27 ans ce 20 octobre 2025. Que ressentez-vous à l’occasion de cet anniversaire ?
Mountamou Kani : Merci pour l’occasion que la direction de Ouest Info nous offre pour parler des 27 ans de L’Express du Faso. 27 ans de vie de l’express du Faso, nous le ressentons non pas comme une joie quelconque mais nous le vivons comme un appel à aller encore plus loin. A travailler davantage parce qu’à 27 ans déjà, on est mûr et on doit s’engager définitivement dans tout ce qu’on veut faire. 27 ans du journal, c’est le moment de fixer définitivement où L’Express du Faso veut aller. C’est dans cette dynamique que nous célébrons les 27 ans. Nous n’avons pas mené d’activités quelconque mais, nous avons tout simplement signifier que c’est les 27 ans du journal. C’est une reconnaissance à nos lecteurs. Les premiers partenaires d’un média, ce sont ses lecteurs et aussi ses abonnés qui paient même avant d’être servis. C’est une marque de confiance pour nous. Nous avons aussi des partenaires avec lesquels nous avons des contrats. Il y a également le personnel. Assez de monde est passé à L’Express du Faso d’octobre 1998 à octobre 2025. Ils ont tous tenu à se battre même ceux qui ne sont plus là. Nous en sommes donc très fiers.
Ouest Info : Dites-nous dans quel contexte le journal a été créé et quel était l’objectif initial ?
Mountamou Kani : Je l’ai rappelé dans la première parution, le numéro 00 du 23 octobre. L’Express du Faso est né le 20 octobre et le premier numéro est paru le 23 octobre. Je l’ai rappelé dans l’édito que L’Express du Faso n’est ni à gauche ni à droite, encore moins au milieu et c’est paradoxal pour certains. Il y en a qui ne comprennent pas. Mais en tant que journaliste, nous nous fixons des objectifs. Et le premier objectif pour un journaliste c’est la vérité des faits. Nous avons dit que tout ce qui se fait à Ouagadougou qui est la capitale, peut se faire dans une autre ville (Koudougou, Bobo-Dioulasso, Banfora…). C’est pourquoi nous avons choisi Bobo-Dioulasso. Les conditions n’étaient pas réunies pour faire un journal à Bobo parce qu’effectivement une presse écrite, c’est de l’imprimerie. Les gens n’étaient pas préparés à travailler la nuit comme nous le faisons dans une presse écrite. Nous n’avions pas d’imprimerie propre à nous au début. Ce n’était pas du tout facile mais nous l’avons fait. J’ai trouvé des gens qui s’étaient engagés à faire un choix de challenge, une aventure. Je me souviens que dans l’équipe de rédaction, chacun voulait que son papier passe dans le premier numéro de L’Express du Faso. C’était une concurrence saine. Donc nous avons débuté L’Express du Faso dans un contexte assez difficile. Nous avons fait un choix et décidé d’affronter l’adversité. L’anecdote c’est que quand nous sommes rentrés pour le premier numéro à l’imprimerie le jeudi nuit à 20h, nous sommes sortis le lendemain à 8h. Il fallait préparer le journal du lundi. Les gens me demandaient, « chef, comment nous allons faire ? ». Je disais qu’on a d’autre choix que de faire avec les moyens du bord. On n’avait pas d’ordinateur. Il n’y avait pas de connexion internet à l’époque ni de clé USB. C’était des disquettes. Souvent, on faisait saisir les textes dans les télécentres. On se promenait pour saisir les textes et on les réunissait après. La difficulté est que vous pouvez mettre les textes dans ces disques et arrivés à l’imprimerie trouver qu’il n’y a rien. Il fallait recommencer à nouveau. C’était difficile mais très exaltant.
Ouest Info : Avec une introspection, pensez-vous avoir atteint l’objectif de départ ?
Mountamou Kani : Un objectif n’est jamais totalement atteint. Nous avons l’obligation d’aller plus loin. Le jour qu’on aura atteint notre objectif on ne serait plus là. Il faut que L’Express du Faso survive après nous qui l’avons créé. Notre objectif est d’asseoir L’Express du Faso mais nous ne sommes pas définitivement assis. En 1998-1999, on faisait saisir les textes depuis Ouagadougou pour nous envoyer. Il fallait trois jours pour publier une information mais progressivement avec les mails, scanners, WhatsApp, il y eu du changement.
Ouest Info : Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées au cours de ces 27 années d’existence ?
Mountamou Kani : Les difficultés, nous en avons suffisamment rencontrées. Malheureusement ça continue toujours. L’une des plus grandes difficultés est le fait que nous ayons choisi de nous installer à Bobo-Dioulasso. Mais nous l’avons affronté et nous continuons de l’affronter. Tout simplement parce qu’on a tendance à dire et à croire qu’on ne peut pas faire ce qui se fait à Ouagadougou dans une autre localité du Burkina Faso. Ça, je dis non. Aujourd’hui Ouest Info fait un travail merveilleux à Bobo de même que L’Express du Faso. Il y a bien d’autres médias à Bobo. Le pays c’est tout un ensemble et si vous refusez de développer et consacrer des efforts dans les périphériques, le centre ne pourra pas s’en sortir parce que tout le monde va se retrouver au centre.
Quand j’ai débuté L’Express du Faso, les gens trouvait ça fou. Mais quand au bout d ‘un an on a fêté le premier anniversaire, puis le 5ème et encore le 10ème, ils me demandent quel est le secret et je répondais qu’il n’y a pas de secret. Au début, lorsqu’on tendait un Micro à quelqu’un, il ne voulait pas parler parce que c’était l’époque de l’assassinat de Norbert Zongo. Les gens avaient peur. Mais au fur et à mesure, nous avons amené les gens à se déplacer vers nous. A l’époque, il était très difficile de parler des régions. Nous avons refusé que les gens disent que L’express du Faso est un journal régional mais, qu’ils disent que c’est le quotidien bobolais. Donc c’est une dynamique qu’on adapte aux changements.
Ouest Info : Quelles sont, à l’inverse, vos plus grandes fiertés ou réussites depuis la création du journal ?
Mountamou Kani : L’une des grandes fiertés, c’est le fait que nous soyons toujours là, que nos lecteurs continuent de nous faire confiance, que Monseigneur Anselme Titiama Sanon nous envoie de l’eau comme des travailleurs dans un champ, que nous recevons des appels souvent de personnes anonymes qui nous félicitent pour nos efforts, qu’on nous invite à des événements parce qu’on nous fait confiance. Nous sommes fiers quand nous voyons aujourd’hui des journalistes qui sont passés à L’Express du Faso et qui sont devenus des responsables de médias. Nous sommes fiers des étudiants qui sont passés pour des stages, pour la rédaction de leurs mémoires ou juste pour des entretiens avec nous passent aujourd’hui pour nous saluer.
Ouest Info : Comment avez-vous pu maintenir la régularité de L’Express du Faso dans un environnement médiatique souvent difficile ?
Mountamou Kani : C’est comme si vous me demandez comment j’ai pu vivre moi-même dans un environnement humain aussi difficile. Pour moi, L’Express du Faso, c’est toute une vie. Si je dois vivre, alors je dois tout faire pour que L’Express du Faso vive. J’écris un édito tous les jours en dehors des autres papiers que j’écris depuis plus de 20 ans. Si je ne le fais pas et que le journal sort, je sens qu’il n’y a pas ma marque dedans. Tous les journalistes veulent que leurs papiers apparaissent à chaque fois que le journal passe. C’est un engagement, une fierté. C’est tout cela qui nous permet d’avancer et de maintenir cette régularité. De la comptabilité au service commercial, tout le monde est concerné en cas de difficultés et chacun y met du sien pour trouver des solutions. L’Express du Faso est donc une famille dans laquelle il n’y a pas de secret quelconque à part le secret de confiance, de travail et de fonder une famille autour d’une entreprise.
Ouest Info : Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face aujourd’hui ?
Mountamou Kani : Les défis majeurs des médias aujourd’hui est la survie. Le contexte de notre pays a un impact sur l’économie de façon générale et les médias en particulier. C’est un défi énorme qu’il faut relaver car c’est une période très difficile pour le pays et la presse. Il y a eu un manque de compréhension à un moment donné entre le gouvernement et la presse. Mais nous avons pu surmonter cette étape. Il y a aussi le défi du numérique. Il faut que les médias arrivent à s’adapter au numérique et évoluer sans pour autant perdre leur identité. Nous sommes une presse écrite papier et aujourd’hui vous avez remarqué que la presse écrite papier a tendance à disparaitre. Mais nous, nous continuons dans la presse écrite car nous croyons que le papier ne peut pas disparaître si nous le maintenons. La presse traditionnelle doit s’approprier le numérique. Par exemple en 2019 lors du Covid19, toutes les villes étaient en quarantaine. On ne pouvait plus envoyer les journaux dans les différentes villes et le numérique est venu en renfort. C’est un défi que tous les médias doivent pouvoir relever. Il y a également les défis de l’information. De nos jours l’information vient de partout et il faut savoir faire une sélection.
Ouest Info : Comment le journal s’adapte-t-il à la montée en puissance des médias en ligne et des réseaux sociaux ?
Mountamou Kani : Au début, L’Express du Faso n’avait pas de site web. Mais avec l’avènement de internet, nous avons créé un site comme tout le monde. Aujourd’hui, nous savons qu’il faut avoir une page Facebook qui fait référence aux sites internet, une chaîne YouTube, whatsapp, et tiktok. Nous savons également qu’il faut faire des podcasts pour notre site. Ce sont des éléments d’évolution avec lesquels il faut compter pour continuer d’exister. Je remercie d’ailleurs les étudiants qui sont passer ici et qui ont produit des mémoires sur L’Express du Faso face aux défis du numérique. Ce sont des documents qui nous aident beaucoup et nous permettent de nous adapter.
Ouest Info : Quels sont vos projets pour les prochaines années ?
Mountamou Kani : Nous avons suffisamment de projets pour les prochaines années. J’ai eu à faire un stage à Ouest France qui est l’un des plus grands journaux en province là-bas. Leur particularité est le fait d’avoir des rédactions départementales. L’un de nos projets est donc de créer des rédactions en province avec des représentants de L’Express du Faso et non des correspondants. Actuellement, c’est ce que nous faisons à Ouagadougou. Ils ont, une rédaction complète qui fait ses conférences et ses couvertures comme Bobo. Nous voulons que les titres de nos journaux des régions soient des événements phares qui se passent dans ces régions pour être plus proches des burkinabè.
Ouest Info : Quel message souhaitez-vous adresser à vos fidèles lecteurs ?
Mountamou Kani : A nos lecteurs, nous voulons leur remercie pour la confiance qu’ils ont placé en nous. Et leur dire que nous continuerons de travailler de manière à mériter leur confiance et à dire toujours la vérité. En effet, quand nous sommes arrivés au lancement du journal, plusieurs personnes nous ont dit de faire une cérémonie officielle de lancement et j’ai répété que quand les femmes vont au marché le matin, elles payent le sel parce qu’il est indispensable pour la cuisine. Mais nous ne verrons jamais une personne faire la publicité du sel. Et je leur ai dit que c’est comme cela que je veux que L’Express du Faso soit. Quand il te manque dans ta journée, tu dois savoir qu’il y a un manque. En matière d’informations, de critique et de propositions, L’Express du Faso doit être ce sel. C’est pour cela que nous demandons à nos lecteurs de continuer à nous faire confiance. Parce que nous sommes conscients qu’aujourd’hui l’information est une arme que nous devons pouvoir exploiter pour notre indépendance et notre souveraineté.
Leïla Korotimi Koté & Dofinitessan Kini, Serge Palm (Stagiaires)/ Ouest Info