Dans une nuée de poussière à quelques encablures des berges du marigot Kua, des femmes grattent le sol et tamisent le sable. Dans une souffrance indescriptible, elles y extraient du gravier qu’elles vendent pour gagner leur pitance quotidienne et scolariser leurs enfants. Ces femmes mènent cette activité de survie sur un espace public. Cette dégradation du domaine public d’environ quatre hectares se fait sur fond d’exploitation des ‘’pauvres femmes’’ par un prétendu propriétaire terrien.
Dunes de sable et gravier, poussière, creux sur le sol, racines d’arbres mises à la surface ; c’est ce drame qu’on peut constater à quelques encablures du marigot Kua sur un espace vert situé au secteur 32 de Bobo-Dioulasso. Au milieu de ce triste décor, des femmes baignent dans leur sueur dans cet après-midi du jeudi 5 mai 2022. Elles creusent le sol, tamisent le sable juste pour récupérer le gravier. La vente de ce gravier est tout simplement leur gagne-pain.
Gros foulard de fortune autour de la tête, sueur mêlée à la poussière sur le visage, Wèrè Sanou est une de ces femmes rencontrées sur le lieu d’extraction de gravier. Un bambin d’environ 4 ans l’aide à tamiser le sable pour trouver la matière précieuse. Veuve, la quinquagénaire doit compter sur cette activité pénible pour nourrir et scolariser ses cinq (05) enfants orphelins de père. Pour cela, elle est toujours présente sur le site. « Je suis veuve il y a maintenant plus de cinq ans. Pour nourrir mes enfants et les scolariser, j’ai été obligée de me lancer dans cette activité. Nous sommes pratiquement en fin d’année scolaire mais je n’ai même pas encore pu solder la scolarité de certains de mes cinq enfants », explique Wèrè Sanou. Pour cette dame, aucun sacrifice n’est de trop pour sauver l’avenir de ses enfants.

Une aventure pour la survie de leurs familles
A quelques pas de Wèrè Sanou, une vieille femme creuse à coup de pioche et de daba. La soixantaine bien sonnée, la femme déploie toute l’énergie de son âge pour avoir beaucoup de matériau à vendre. De passage, un homme par compassion s’arrête et file une pièce de 200f à la femme qui n’a pas eu suffisamment de mots pour dire ‘’merci’’ à son bienfaiteur occasionnel. Sous le poids de la fatigue, elle marque une pause pour se désaltérer avec du tô délayé. Cinq minutes ont suffi à la ‘’pauvre’’ dame pour reprendre des forces. Un contact avec elle a vite permis de savoir qu’elle s’appelle Mariam Millogo. « C’est la pauvreté qui m’a mise dans cette activité. Sinon, avec mon âge, je ne devrais plus faire ce genre de travaux pénibles. Je fais cela pour pouvoir me nourrir et nourrir aussi mes enfants. C’est de cette activité que dépend la survie de la famille. On souffre vraiment mais la vie ne nous a pas donné le choix », Mariam Millogo décrit-elle sa condition d’un air résigné.
Les mains aux reins, le regard hagard, Fatoumata Soré semble scruter l’horizon comme si elle implorait Dieu sur son sort. Cela fait deux ans qu’elle exploite le gravier sur le site. Mais elle n’est pas nouvelle dans cette activité. Elle la pratique depuis longtemps mais elle a fait sa première expérience dans le village de Kôrô à environ 10 Km de Bobo-Dioulasso. « J’ai commencé à extraire le gravier ici il y a environ deux ans. Mais je ne suis pas à ma première expérience dans cette activité. Je la pratiquais bien avant dans le village de Kôrô. Mais depuis que j’ai découvert ce site, je ne me fais plus la peine pour aller jusqu’à Kôrô », fait-elle savoir. Sur le site où nous l’avons trouvée, elle creuse d’abord avant de se servir d’une pelle pour lancer le sable sur un tamis métallique qu’elle a soigneusement aménagé pour la circonstance. Avec ce matériel, visiblement elle amasse beaucoup plus de matière que les autres. Pour cette dame relativement plus jeune que ses deux congénères ci-dessus, l’activité à laquelle elles s’adonnent est très pénible pour des femmes. « En tant que femmes, notre activité est très dure. Mais on n’a pas autre chose à faire. Alors que la scolarité des enfants nous incombe pour la plupart. Il y a de ces hommes aujourd’hui qui ne s’intéressent pas à la scolarité des enfants surtout celle des filles. Nous faisons cette activité pour pouvoir scolariser nos enfants. Si nous souffrons aujourd’hui, c’est parce que nous n’avons pas fait l’école. Nous ne voulons pas que nos enfants souffrent un jour comme nous », explique Fatoumata Soré qui vend le fruit de son calvaire selon le prix du client.
Malgré cette souffrance, les clients paient au prix qu’ils veulent
Chez les femmes qui extraient le gravier au secteur 32 de Bobo-Dioulasso, le client est plus que ‘’roi’’ si l’on s’inscrit dans la logique du jargon des commerçants qui dit que ‘’le client est roi’’. Dans cette carrière de fortune, ces ‘’pauvres femmes’’ ont au moins deux équations à résoudre chaque jour : celle de trouver du gravier et celle de pouvoir l’écouler. Tout cela, pour avoir de quoi manger et scolariser les enfants. Au risque de contracter des maladies respiratoires et dont certainement les frais ne sont pas envisagés dans les maigres recettes.
Après avoir creusé et récupéré le gravier, chaque exploitante doit se trouver un client pour écouler ce qu’elle aurait amassé. Pour cela, il n’y a pas de prix fixe. Ce sont les clients qui fixent leurs prix. Ainsi le prix du chargement de tricycle varie entre 2 000 FCFA et 4000 FCFA. Même cela, il arrive des fois où les ‘’pauvres femmes’’ font plus d’une semaine sans clients. « Il y a des fois où on peut avoir 2000f par jour, parfois 2500 FCFA et souvent 3 500 FCFA ou 4 000 FCFA. Il y a de ces périodes où on peut passer dix jours à travailler sans clients. En ce moment, on est obligé de vivre à crédit jusqu’à ce qu’on puisse vendre ce qu’on a extrait. C’est ça notre quotidien depuis maintenant cinq ans », Wèrè Sanou explique ainsi les difficultés qu’elles ont à écouler parfois le gravier qu’elle exploite difficilement.
Dans cette aventure pour leur survie, les dames vendeuses de gravier savent très peu sur la nature et la destination de l’espace qu’elles dégradent. Elles ignorent d’ailleurs les conséquences environnementales de leur acte. Un prétendu propriétaire terrien profite de cette ignorance des femmes pour ‘’boire un peu de leur sueur’’ autrement dit, les exploiter.
Qui est ce faux propriétaire terrien qui exploite les pauvres femmes ?

Dans leur activité d’extraction de gravier, les femmes dégradent un espace public. Elles semblent ne pas le savoir. Elles disent détenir ‘’le permis d’exploiter’’ d’un prétendu propriétaire terrien.
En effet, ce dernier perçoit quelque chose sur le travail des femmes dans l’espace public dont il se réclamerait propriétaire. De leur travail, il perçoit un seau de gravier sur trois. Ainsi chacune entasse sa part de côté. Quand ce dépôt devient consistant, il vient le ramasser pour vendre. « C’est le propriétaire terrien qui nous a autorisés à exploiter l’espace. Au début, il nous avait dit que si on creusait, on devrait refermer les trous. Mais avec le temps, vu que les gens deviennent nombreux, cela n’est plus respecté. C’est pourquoi, l’espace est maintenant dégradé comme ça. Quand nous travaillons, le propriétaire terrien réclame un seau de gravier sur trois. On verse sa part à côté et il vient ramasser après. Cela ne nous dérange pas à partir du moment où on arrive à avoir un peu d’argent dedans », raconte Wèrè Sanou et ses congénères. La vie est ainsi belle pour le ‘’propriétaire terrien’’ de l’espace vert du secteur 32.
Renseignement pris avec les riverains, l’espace serait réservé pour la construction d’une école publique. Selon les témoignages d’un ancien des lieux, la zone appartenait à la famille du monsieur qui se réclame toujours propriétaire. Pour le témoin, avant le lotissement, tous les propriétaires terriens des lieux ont été dédommagés comme de coutume. Hormis ceux qui avaient des titres fonciers.
En vertu de quoi donc, le monsieur en question continue de se réclamer propriétaire de l’espace au point d’autoriser et d’encourager sa dégradation par des femmes qui cherchent à assurer leur survie ? Lui seul peut répondre à cette question. Sur ses traces, rien n’a permis de le retrouver pour en savoir davantage.
En attendant, les pauvres femmes continuent de dégrader l’espace vert du secteur 32. Et le mystérieux propriétaire terrien quant à lui peut continuer de se sucrer dans la souffrance de ces malheureuses femmes.
Et tant pis pour l’infrastructure publique qui doit y pousser, vu que personne ne lève le petit doigt, ne serait-ce que trouver une autre activité plus décente à ces pauvres femmes afin de sauver l’espace.
Abdoulaye Tiénon/Ouest-info.net