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Saponification traditionnelle à Bobo : Un secteur à la croisée des chemins

A Bobo-Dioulasso, malgré la modernité constatée dans le secteur de la saponification, avec l’implantation de plusieurs unités industrielles, la fabrication du savon noir traditionnel reste toujours une activité qui emploie de nombreuses personnes. Des hommes et femmes de la ville en ont fait leur gagne-pain quotidien. Le 31 mai et 01 juin 2023, une équipe de Ouest info a fait le tour de quelques sites de production artisanale du savon. Une activité qui demeure tout de même résiliente malgré les énormes difficultés que les acteurs rencontrent.

Sous un soleil accablant, entre fumée et odeurs de coques de noix d’acajou en flamme, de soude, des productrices de savon noir sont à la tâche. Installées à un jet de pierre du Conseil Burkinabè des chargeurs (CBC), sur le bas-côté gauche du tronçon menant au port sec de Bobo-Dioulasso, ces dames s’exposent sans crainte à tous les risques liés à ce qu’elles font. Leur seule protection, des sachets enfilés autour des mains en lieu et place de gants. Ces productrices sont tout simplement à la recherche de leur pitance quotidienne.

En petits groupes, ces femmes qui, veuves pour certaines, exercent ce métier de saponification depuis longtemps. Mais cette année, elles sont face à une situation jamais vécue.

La cinquantaine bien sonnée, Kadidja Fofana exerce ce métier depuis son âge adolescent. Elle maîtrise tous les rouages de l’activité. Des crises, le secteur en a connu. Mais cette année, l’activité est gangrénée par plusieurs difficultés. Des difficultés auxquelles ces opératrices économiques tentent d’être résilientes. Patronne des lieux, la quinquagénaire égrène le chapelet de difficultés qui plombent leur activité.

« Nous sommes nées trouver que nos mamans pratiquaient cette activité. Et nous avons grandi dedans. A notre tour, nous essayons de suivre leurs pas. Mais cette année, les difficultés du secteur ont remis en cause notre expérience qu’on pensait suffisamment solide pour dompter toute sorte de problèmes. Le prix de la matière première s’est multiplié au moins par cinq. Chose qu’on n’a jamais vu après plus de 40 ans d’expérience », Kadidja Fofana nous fait-elle le récit de la situation que connait le secteur.

C’est une activité principalement menée par des femmes

Face aux multiples difficultés, la réduction du coût de production s’impose. Kadidja Fofana est obligé de revoir sa source d’énergie. Du bois de chauffe, elle est passée à l’utilisation des coques de noix d’anacarde qu’elle obtient sans débourser de l’argent.  « Avant nous utilisions le bois pour la cuisson. Mais présentement c’est devenu rare et cher. C’est pourquoi nous avons négocié une usine de transformation d’anacarde, pour qu’elle nous livre les coques qui ne sont plus utilisables à leur niveau. Et nous les utilisons comme combustible », nous met-elle au parfum de la petite trouvaille pour réduire le coût de production.

C’est ce qui permet à la productrice de continuer à exercer sinon elle aurait mis, dit-elle, la clé sous le paillasson.

Autrefois gratuite, la matière première est devenue de l’or

Agée d’à peine 30 ans, Adjaratou Kambi, est une des collaboratrices de Kadidja Fofana. Tout comme cette dernière, elle aussi dit avoir hérité ce métier de sa mère depuis sa naissance.  Elle ne cache pas son étonnement face à l’augmentation fulgurante des prix des matières premières telles que la soude caustique, les déchets de la trituration des grains de coton. Pour elle, les prix actuels de la matière première donnent des vertiges.

« Ce travail est devenu très dur pour nous aujourd’hui à cause de la cherté des matières premières. Avant les usines déversaient ces matières dans la nature et nos parents partaient ramasser gratuitement pour fabriquer le savon. Et au moment où moi je commençais ce travail, la barrique des déchets (matière première) était déjà vendue entre 10 000 et 12 500 FCFA. Mais aujourd’hui le coût de la barrique s’élève à 75 000 FCFA. Et le prix de la soude caustique qui était à 12 500 FCFA est passé à 25 000 FCFA. », nous explique-t-elle avec un soupir de désespoir.

Face à cette hausse considérable des prix, Adjaratou Kambi se retrouve à la croisée des chemins entre abandonner et développer des mécanismes de résilience. Entre deux maux, il vaut mieux choisir le moindre mal, estime la trentenaire. Ainsi pour ne pas abandonner et ne pas travailler à perte, elle a trouvé avec ses camarades une astuce pour se maintenir dans l’activité. « Nous n’avons pas augmenté le prix de la boule de notre savon mais nous avons simplement diminué la quantité. », nous donne-t-elle leur petite recette circonstancielle.

Malgré toutes ces difficultés, Kadidja Fofana et Adjaratou Kambi emploient toujours treize (13) personnes dont trois (03) femmes déplacées internes.

Grâce à la résilience de Kadidja Fofana et de Adjaratou Kambi, Amta Ouoba, cette déplacée interne ayant fui les attaques terroristes à l’est depuis 2020 arrive à aider son mari à nourrir leurs deux enfants.

« Nous avons fui les attaques terroristes à Fada depuis 2020 pour se retrouver ici. Nous avons cherché du travail et c’est dans ce site que j’ai pu me faire embaucher. Il est vrai que ce que je gagne par jour n’est pas suffisant mais c’est mieux que de ne rien faire », nous confie-t-elle.

La saponification traditionnelle, un métier également pour hommes

Contrairement, à ce que l’on pourrait croire, la fabrication traditionnelle du savon noir n’est pas une activité réservée uniquement aux femmes. En effet, certains hommes en ont fait aussi leur principal métier. C’est le cas de Abdramane Sanou. Basé dans une cour familiale au secteur 17 de Bobo-Dioulasso, ce quarantenaire dit avoir hérité le métier de sa mère. Il l’exerce, il y a une dizaine d’années avec toute sa famille.

 « Je faisais ce travail avec ma mère. Après son décès, j’ai décidé de perpétuer son œuvre. Et aujourd’hui, je travaille avec ma femme, mon frère et ma sœur. C’est donc une question d’héritage », fait-il savoir.

Abdramane Sanou, un des rares hommes à vivre de la saponification traditionnelle

Tout comme chez les productrices du site de production précédent, les difficultés dans le secteur sont courantes selon Abdramane Sanou. Mais, souligne-t-il, le cas de cette année semble être du jamais vu. « En plus de leur coût très élevé, les matières premières fournies sont de mauvaise qualité. Et quand l’huile (matière première) est de mauvaise qualité, ça joue sur la qualité du savon que nous produisons. Et quand c’est comme ça, nous ne pouvons rien y changé car c’est déjà acheté. On est obligé de faire avec », décrit-il le calvaire que les producteurs du savon noir de Bobo-Dioulasso vivent cette année. 

Et sa sœur, Sanata Sanou de renchérir. « Souvent, après avoir acheté l’huile, à la livraison on se rend compte qu’elle a été mélangée avec de l’eau ou de la potasse pour nous être vendue », s’indigne-t-elle.

La situation sécuritaire indexée du doigt par les acteurs

A la question sur l’origine de leurs difficultés, tous les acteurs rencontrés indexent la situation sécuritaire. « C’est à cause de l’insécurité que tout ceci nous arrive. Car les terroristes ont chassé la plupart des producteurs de coton. Ces derniers n’arrivent plus à produire. Alors que c’est à base des grains de coton que nous obtenons nos matières premières. C’est donc en partie la baisse de la production cotonnière qui est à l’origine des difficultés que nous vivons », se convainc Adjaratou Kambi.

Comme autre impact de la crise sécuritaire sur la saponification traditionnelle, nous dit Sanata Sanou, c’est la difficulté d’écoulement du savon produit. « Avant nous écoulions nos produits à Orodara, Banfora, Tougan, Lampa, Sidéradougou et autres. Maintenant à cause de l’insécurité, beaucoup de ces zones sont inaccessibles. Du coup, on a souvent un problème d’écoulement », explique Sanata Sanou.

La saponification traditionnelle, un métier à risques sanitaires

Avec des méthodes traditionnelles de production, les acteurs de la saponification disent s’exposer à des risques sanitaires. Mais que faire avec des moyens modestes ? Sans cache-nez ni gants et encore moins des lunettes de protection, les producteurs du savon sont permanemment exposés aux produits chimiques, aux flammes et à la fumée. Certains d’entre eux reçoivent parfois la soude caustique dans les yeux. Comme premiers soins, elles utilisent généralement du citron pour atténuer le mal. Ils reçoivent aussi souvent des brûlures sur la peau venant de la soude caustique ou de la matière réchauffée.

Pour prévenir les maladies respiratoires dont elles sont conscientes, la plupart des travailleurs du savon noir ne boivent que du lait pour espérer atténuer les effets des gaz auxquels ils sont exposés. « Le gaz qui se dégage de la soude caustique est assez fort et cela peut nous causer des maladies. On nous a dit que si on boit du lait, cela peut aider à diminuer l’effet de ces gaz sur notre santé. Sans quoi, nous ne faisons pas autre protection », nous raconte Sanata Sanou. Selon cette dernière, tous ces mécanismes ont été développés pour ne pas abandonner car c’est la seule activité qu’ils savent bien faire. Leur exposition est, selon la jeune dame, due au manque de moyens financiers pour se protéger et se faire médicalement consulter par des spécialistes à des intervalles réguliers.

Elles sont nombreuses les femmes qui vivent de cette activités

Malgré les difficultés de toute nature qui assaillent le secteur de la saponification traditionnelle à Bobo-Dioulasso, les acteurs se montrent résilients en espérant que la donne change positivement pour qu’ils puissent bien tirer leur épingle du jeu. C’est dans cette espérance que certains des producteurs attendent impatiemment une aide ou des mesures salvatrices de la part de l’autorité pour sauver leur secteur.

 Désespérées certaines productrices, ont catégoriquement refusé de se prêter à notre micro car disent-elles, « nous sommes fatiguées qu’on vienne faire des reportages sur les difficultés de notre activité et rien de nos conditions ne change ».

Quoi qu’on dise, la saponification traditionnelle est un secteur informel qui occupe beaucoup de personnes à Bobo-Dioulasso. Face aux difficultés du moment, ces acteurs essaient de tenir le coup en développant des mécanismes de résilience.

En plus de créer de la richesse et de l’emploi, la saponification traditionnelle semble contribuer à la protection de l’environnement par la transformation des matières qui devraient être déversées dans la nature si l’activité n’existait pas.

Saponification traditionnelle et préservation de l’environnement: un autre article sur le sujet à lire bientôt sur Ouest-Info.

D. Siri /collaborateur, L. Koté, S. Guiti, A. Kokombo/Stagiaires (Ouest Info)

La rédaction
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Ouest Info est un média en ligne basé à Bobo-Dioulasso dans la région de l’Ouest du Burkina Faso.

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