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AfriNIC : L’Afrique veut reprendre la main sur son Internet

Paralysée depuis trois ans, l’organisation chargée de gérer les adresses IP sur le continent relance son processus électoral. Une coalition soutenue par plusieurs États africains tente de redonner vie à cette structure stratégique.

Une crise silencieuse, mais profonde

Depuis 2021, le registre Internet régional pour l’Afrique, AfriNIC, est plongé dans une crise institutionnelle majeure. En cause, un litige avec la société Cloud Innovation Ltd, enregistrée aux Seychelles, accusée d’avoir détourné plusieurs millions d’adresses IP initialement destinées à soutenir la connectivité sur le continent. Derrière ce conflit, une bataille juridique tentaculaire : plus de cinquante procédures, des comptes bancaires bloqués, des assemblées générales suspendues, et une paralysie presque complète des organes de gouvernance.

AfriNIC, basé à l’île Maurice, est l’un des cinq registres régionaux de l’Internet dans le monde. Il est chargé de distribuer les ressources IP aux fournisseurs d’accès, gouvernements et organisations du continent. Mais sans conseil d’administration depuis plus de deux ans, et avec une gouvernance sous tutelle judiciaire depuis 2023, l’institution ne tenait plus que par un fil.

La reprise du processus électoral, le 18 juin dernier, marque une tentative de redressement. Elle intervient après une suspension décidée quelques jours plus tôt par la Cour suprême de Maurice, saisie par un groupement de fournisseurs d’accès. Le Receiver judiciaire nommé par la justice mauricienne a dû revoir les conditions du scrutin, relancer le comité électoral, et garantir une supervision renforcée. Le vote, qui se tient jusqu’au 23 juin, s’annonce déterminant.

Smart Africa entre dans la danse

Face à cette impasse, une coalition panafricaine s’est formée autour de l’organisation intergouvernementale Smart Africa, basée à Kigali. Son directeur général, l’Ivoirien Lacina Koné, a discrètement multiplié les réunions avec les gouvernements, les pionniers de l’Internet africain, la société civile et les techniciens du secteur. Objectif : proposer une sortie de crise crédible et coordonnée.

De cette mobilisation est née une liste commune de huit candidats, présentés comme la meilleure chance de restaurer une gouvernance légitime et stable. Tous ont été sélectionnés sur la base de leur expertise, de leur engagement dans la gouvernance Internet, et de leur capacité à rassembler.

On y retrouve Abdelaziz Hilali, président du chapitre marocain de l’Internet Society, figure connue des forums internationaux. Emmanuel Adewale Adedokun, chercheur nigérian, a siégé par le passé au conseil d’administration d’AfriNIC. Kaleem Ahmed Usmani, responsable du CERT-MU, est l’un des artisans de la cybersécurité à Maurice. Laurent Ntumba, en République démocratique du Congo, est à l’origine du principal point d’échange Internet du pays.

La liste comprend également Carla Sanderson, professionnelle des data centers, engagée dans la neutralité des infrastructures en Afrique australe. Fiona Asonga, actrice incontournable du multistakeholderisme au Kenya, complète ce groupe avec une solide expérience institutionnelle. À leurs côtés, le Burkinabè Rodrigue Guiguemde, ancien représentant de l’Afrique au comité consultatif gouvernemental de l’ICANN, et aujourd’hui conseiller auprès de Smart Africa, incarne une voix ouest-africaine indépendante. Enfin, Ben Roberts, ancien directeur technique de Liquid Intelligent Technologies, représente le monde des télécoms continentaux.

Une relance à haut risque

La tâche qui attend les futurs administrateurs est immense. Il s’agira d’abord de rétablir la confiance entre le registre et ses membres, mais aussi de restaurer la crédibilité d’AfriNIC auprès des partenaires internationaux, à commencer par l’ICANN. Le nouveau conseil devra également relancer les services d’allocation d’adresses IP, figés depuis des mois, et engager des réformes structurelles de gouvernance.

Le climat reste tendu. L’ICANN a déjà exprimé publiquement ses inquiétudes sur l’intégrité du processus électoral. Et certains acteurs dénoncent une opacité persistante dans l’accès aux informations liées aux membres votants. Si une nouvelle crise éclatait, le registre pourrait perdre définitivement sa capacité à remplir son mandat.

Mais pour de nombreux observateurs, cette élection est aussi une opportunité. L’Afrique n’a jamais autant débattu de souveraineté numérique. Le contrôle des infrastructures critiques, la gestion autonome des ressources Internet et la sécurisation des données sont devenus des enjeux stratégiques, évoqués jusque dans les sommets présidentiels.

Une souveraineté numérique à reconstruire

La crise d’AfriNIC révèle, par-delà ses aspects techniques, une fragilité plus large : celle d’un continent encore mal préparé à défendre ses infrastructures numériques. L’absence de mécanismes supranationaux, l’inertie des institutions régionales et le manque de coordination entre les États ont permis à une série de contentieux de s’enliser.

Pourtant, l’Afrique ne manque ni d’experts, ni d’initiatives. La mobilisation autour de cette élection en est la preuve. Si le scrutin aboutit, et si la liste soutenue par Smart Africa l’emporte, le registre pourrait enfin sortir de l’impasse. Mais tout dépendra de la capacité du futur conseil à rassembler, à dialoguer, et à réformer. Et surtout, de la volonté politique du continent à ne plus laisser un outil aussi stratégique sombrer dans l’oubli.

La rédaction
La rédaction
Ouest Info est un média en ligne basé à Bobo-Dioulasso dans la région de l’Ouest du Burkina Faso.

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