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Agriculture biologique: Avec les biopesticides, les plantes soignent les plantes

Au Burkina Faso, le secteur agricole est face à l’épuisement des sols et à l’augmentation des prix des intrants chimiques. Certains producteurs s’interrogent déjà sur l’avenir de l’activité agricole avec des sols qui ne répondent plus aux cultures. Certains acteurs optent pour le retour à l’agriculture biologique. Comment faire donc face aux maladies des plantes et aux ravageurs avec la production biologique qui exclut les produits chimiques ? L’institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT) a trouvé une réponse à cette question en mettant en place des pesticides naturels produits à base de feuilles ou de fleurs de plantes (biopesticides). Ainsi dans cette interview, le phytopathologiste, Docteur Oumarou Traoré spécialiste de ces pesticides naturels, définit les biopesticides et explique leurs avantages pour une agriculture biologique rentable et durable.

Ouest Info : Que doit-on entendre par biopesticides ?

Docteur Oumarou Traoré : Quand on parle de biopesticides, c’est simplement le fait d’utiliser le vivant pour lutter contre tout ce qui est nuisible aux plantes dans le domaine de la production agricole. Les biopesticides peuvent être aussi utilisés sur des animaux vivants. On peut utiliser l’organisme vivant entier, une partie ou une molécule issue de cet organisme vivant. Généralement c’est ce que nous faisons au Burkina Faso. Quand on parle de biopesticides, les gens voient généralement l’utilisation du vivant contre le vivant. Mais nous nous utilisons des molécules ou des substances issues du vivant pour lutter contre d’autres vivants qui créent des dommages à des productions bénéfiques.

Ouest Info : Concrètement comment obtient-on les biopesticides ?

Docteur Oumarou Traoré : Comme matière première, nous utilisons beaucoup les végétaux. Pour cela nous investiguons beaucoup dans le domaine végétal. Ce sont donc des plantes que nous utilisons. Nous travaillons avec des molécules issues de ces plantes. Ces molécules peuvent provenir des feuilles, des fleurs, des racines ou de l’écorce. Mais jusque-là, nous préférons travailler avec les feuilles parce que s’attaquer à la racine ou à l’écorce de la plante, c’est une chose qui demande beaucoup plus d’habileté. La racine de la plante par exemple est son organe primordial, vital et nécessaire. C’est pourquoi, nous préférons travailler d’abord avec les feuilles des plantes qu’on peut cultiver facilement.

Ouest Info : Peut-on pratiquer l’agriculture purement biologique comme par exemple l’agriculture intégrée à la pisciculture sans faire recours aux biopesticides ?

Docteur Oumarou Traoré : De façon systématique, je dirais qu’on ne peut pas faire de la production biologique sans utiliser les biopesticides. Nous sommes dans un environnement où il y a beaucoup d’agents pathogènes et de ravageurs qui sont inféodés à nos cultures. Si par exemple les productions agricoles intégrées à la pisciculture sont en serre et indemnes de tout agent pathogène ou ravageur, on peut se passer des biopesticides. Mais nous savons que nos productions se font en milieu réel. Dans ce milieu réel, il y a forcément une interaction entre beaucoup de vivants qui sont jugés dangereux pour les productions. Il va donc falloir protéger ces productions contre les attaques de tous ces vivants qui sont nuisibles. A ce moment, les producteurs qui vont s’investir dans ce domaine de production biologique devront utiliser les biopesticides.

Ouest Info : Combien de biopesticides avez-vous déjà pu mettre en place pour lutter contre les maladies des plantes dans le cadre de la pratique de l’agriculture purement biologique dans les Hauts-Bassins ?

Docteur Oumarou Traoré : Nous avons actuellement une formulation bactéricide au sein de notre équipe. Parce que lorsqu’on parle de maladies de plantes, elles sont d’origine diverses mais la plupart des agents pathogènes sont telluriques (ndlr : liés au sol) car ils vivent dans le sol. Il faut savoir que le sol est une entité vivante. Lorsqu’il y a des déséquilibres au niveau de sa structure, il y a forcément des dommages sur les cultures qui y poussent. Le biopesticide que nous avons à notre disposition, c’est un compost enrichi et renforcé à l’huile essentielle.

La particularité de ce compost, c’est le fait qu’il soit renforcé à l’huile essentielle. Nous l’avons baptisé « Compost bactéricide » parce que nous avons pris le soin d’évaluer sa performance sur un agent phytopathogène qui est une bactérie (Ralstonia). C’est une bactérie qui crée beaucoup de dommages aux solanacées (légumes telles que la tomate, le piment, le poivron, l’aubergine) et à la pomme de terre. Et c’est le « Compost bactéricide » que nous avons mis au point pour lutter contre cette bactérie. Nous poursuivons les investigations avec ce biopesticide.

Du reste, il y a des collègues qui travaillent sur d’autres formulations. Et c’est la même plante communément appelée en dioula ‘’souconant’’ qui nous sert à leur fabrication. Nous avons pas mal de chercheurs qui travaillent avec cette plante qui donne des résultats probants en termes de lutte contre les maladies ou contre les ravageurs.

Au sein de notre institut, nous avons donc beaucoup de formulations en plus du « Compost bactéricide ». La plupart de ces formulations ont été faites à base d’extrait de neem (super Faso EX et super Faso EM). Ces biopesticides issus de l’IRSAT sont commercialisés. Au plan national, il y a beaucoup d’autres formulations de biopesticides qui existent pour soutenir l’agriculture biologique. C’est donc dire que les biopesticides sont disponibles au Burkina Faso et les recherches se poursuivent pour en découvrir davantage.

Ouest Info : Pouvez-vous rassurer les producteurs qui pratiquent l’agriculture biologique que les biopesticides ont une efficacité qui peut défier celle des pesticides utilisées dans l’agriculture conventionnelle ?

Docteur Oumarou Traoré : Notre environnement est assez contaminé. Donc les producteurs veulent traiter leurs plantes et voir tout de suite l’effet. Ils ne tiennent pas compte de l’impact. De façon immédiate, les effets des biopesticides ne sont pas perceptibles. Mais les biopesticides s’inscrivent dans la durabilité. Ça préserve la santé du producteur qui l’utilise et celle d’autres vivants sur son site de production. Ça permet aussi de préserver la santé des consommateurs de la production et permet de lutter contre la dégradation du sol du producteur car le sol est meuble et vit aussi comme tous les autres vivants.

Quand on utilise les pesticides de synthèse qui sont chimiques, le résultat est bon dans l’immédiat mais il y a des conséquences. En utilisant donc les biopesticides, le producteur gagne doublement. Il préserve sa santé, il préserve son environnement et protège d’autres animaux bénéfiques. Le consommateur de ces produits est aussi protégé car on peut traiter des produits avec les biopesticides et les consommer dans l’immédiat sans danger. Les molécules utilisées pour la fabrication des biopesticides ne sont pas nocifs pour l’homme. Nous prenons le soin d’évaluer l’innocuité de ces molécules sur certains vivants. Le dosage est donc respecté. Pourtant les produits chimiques de synthèse ne présentent pas forcément ces avantages.

Avec les biopesticides, nous prenons le soin de les tester en laboratoire, en milieu contrôlé et en milieu réel avant de les vulgariser. Tous ces tests tiennent compte de l’efficacité en comparaison avec le chimique mais aussi tiennent aussi compte de la rentabilité. De l’expérience de ces études comparatives, nous retenons que les biopesticides ont quasiment la même efficacité que les produits chimiques. Les producteurs gagneraient à utiliser les biopesticides car c’est rentable. La seule contrainte avec les biopesticides c’est le temps de réaction sur les plantes.

Ouest Info : Concrètement, quels sont les avantages de l’utilisation des biopesticides ?

Docteur Oumarou Traoré : En plus de la préservation de la santé des producteurs et des consommateurs, on a aussi la protection de l’environnement et le regain économique. Sur le plan économique, la technologie pour la formulation des biopesticides est à la portée des producteurs. Quand nous mettons en place une formulation, nous la vulgarisons. Nous formons les producteurs et ils peuvent se l’approprier. Ils n’auront plus besoin de débourser de l’argent pour les traitements phytosanitaires de leurs champs. Cela réduit le coût de production et permet aux producteurs d’avoir plus de revenus car les produits bio se vendent très bien actuellement sur le marché. Les consommateurs aussi vont manger des produits sains

Ouest Info : En cas de forte demande, seriez-vous en mesure de disponibiliser les biopesticides en quantité suffisante pour les producteurs ?

Docteur Oumarou Traoré : Nous sommes une structure publique. C’est l’argent du contribuable qu’on met à notre disposition pour faire le travail. Même si ces ressources ne sont pas suffisantes, le minimum est fait. Ce qui fait que nous faisons toujours un transfert de la technologie aux producteurs dès que nous mettons en place un produit. Car tout ce que nous faisons, c’est pour l’Etat. Les résultats que nous trouvons reviennent au centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST) et ça revient par ricochet au Burkina Faso. On sera content quand on aura un accompagnement conséquent pour qu’on puisse transférer la technologie aux producteurs.

S’il y a aussi des industriels qui sont intéressés par nos formulations, il peut y avoir des études économiques sur ces trouvailles pour qu’on puisse leur transférer toute cette technologie dans le but satisfaire les producteurs burkinabè. Si nous cherchons et que nous trouvons, si tout ça dort dans les tiroirs, ce n’est pas intéressant. Il faut forcément un transfert de la technologie car nous ne pouvons pas produire à grande échelle vu que nous ne sommes pas une industrie. Former les producteurs à l’utilisation de la technologie est aussi une autre option.

Ouest Info : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans vos recherches en tant que phytopathologiste spécialiste des biopesticides ?

Docteur Oumarou Traoré : Le manque de ressources est la principale difficulté que nous rencontrons dans les recherches pour accompagner l’agriculture biologique au Burkina Faso. Il faut le dire, la recherche n’est pas suffisamment financée au Burkina Faso. Pour que notre agriculture puisse être indépendante et durable, il va falloir financer conséquemment la recherche.

Il faut mettre à disposition du matériel adéquat et penser au renforcement des capacités des chercheurs. Nous avons aussi un problème de valorisation des résultats sur le plan de la recherche. La vulgarisation a un coût mais il va falloir aussi que les différentes structures étroitement liées travaillent en tandem.

Pour le cas des biopesticides, il y a forcément la recherche, les universités, le ministère de l’environnement, le ministère de l’agriculture, le ministère des ressources animales qui doivent travailler ensemble pour des résultats satisfaisants. Sinon de manière isolée, la recherche ne peut pas produire de bons résultats. Et la dynamique actuelle de collaboration entre les différentes structures présage de belles perspectives pour les recherches autour des biopesticides pour une agriculture sécurisée, rentable et durable.

Interview réalisée par Abdoulaye Tiénon/Ouest Info

La rédaction
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Ouest Info est un média en ligne basé à Bobo-Dioulasso dans la région de l’Ouest du Burkina Faso.

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