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Agriculture intégrée à la pisciculture dans les Hauts-Bassins : L’empreinte de Dr Jacob Sanou, un chercheur qui cherche et qui trouve

L’agriculture intégrée à la pisciculture est une innovation technologique agricole mise en place par des chercheurs associés dont l’éminent chercheur spécialiste en génétique et amélioration des plantes, Docteur Jacob Sanou. Maître de recherche à l’Institut de l’Environnement et Recherches Agricoles (INERA), il est du programme céréales traditionnelles de l’institut. A cet effet, il est à l’origine de plusieurs variétés de céréales, de fruits et de tubercules. Une quarantaine de variétés composites et hybrides de maïs comme Wari, Espoir, Barka, Komsaya, Bondofa, Kabako, Sanem qui produisent entre 8 et 12 tonnes à l’hectare, portent les empreintes du chercheur. Dans une interview accordée à Ouest Info.bf, Docteur Jacob Sanou revient en détail sur l’agriculture intégrée à la pisciculture comme une alternative pour une production agricole biologique, rentable et protectrice de l’environnement. Lisez-le.

Ouest info : Docteur Jacob Sanou, vous êtes un des développeurs de l’agriculture intégrée à la pisciculture dans les Hauts-Bassins. Concrètement, en quoi consiste cette innovation technologique agricole ?

Docteur Jacob Sanou : L’agriculture intégrée à la pisciculture est une agriculture qui va intégrer l’élevage de poisson à l’agriculture. Dit de la sorte, on ne peut pas simplement comprendre que ce sont deux éléments importants que cette technologie va développer au niveau de l’agriculture. Il ne peut y avoir d’agriculture sans eau ni fertilisants.

Et si nous restons dans notre contexte au Burkina, nous sommes un pays sahélien. Donc l’eau est capitale pour l’agriculture. Et les sols qu’on connait en Afrique de l’ouest, 60 à 80% de ces sols sont pauvres. Alors, trouver une technique pour apporter à la fois l’eau et des fertilisants à la plante, c’est une innovation qui va quand même aider énormément les agriculteurs.

En résumé, la pisciculture qui assiste l’agriculture va apporter à la fois l’eau et les fertilisants. On peut se poser des questions sur l’origine des fertilisants si on a à faire à une eau de source, une eau de pluie, une eau de forage. C’est là que le poisson va intervenir.

Ouest Info : Dans quel contexte l’innovation a-t-elle vu le jour et quelles sont ses ambitions ?

Docteur Jacob Sanou : Les chercheurs, qu’ils soient de l’université ou du Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST), travaillent toujours à chercher des solutions pour rendre le pays assez indépendant économiquement. Le travail des chercheurs est d’essayer de trouver des alternatives lorsqu’il y a un problème. Et à l’INERA, notre objectif est de faire une agriculture autogérée, une agriculture qui permet à l’agriculteur de dépenser le moins possible et de faire l’agriculture la plus durable.

Donc les questions de fertilisation, nous étions déjà là-dessus mais simplement avec des engrais chimiques et des engrais issus de compostage. A l’université, nos collègues notamment le Professeur Aboubacar Toguyeni (ndlr : actuel président de l’Assemblée Législative de Transition) et Docteur Rokyatou Sissao, ont beaucoup développé le poisson. Et nos deux équipes sont en interaction. Nous émettons des idées, nous les développons et ce qui peut permettre de passer à l’acte c’est la présence d’un financement.

Cette technologie a pu être mise à jour au niveau du grand public simplement parce que le Fonds national de la recherche et de l’innovation (FONRID) a lancé un appel à projet et nous avons soumis notre conceptuelle. Elle a été retenue. Nous l’avons développée et le fonds nous a donné un peu de moyens pour la mettre en œuvre. C’est pourquoi on peut parler aujourd’hui de l’agriculture avec la pisciculture.

Ouest Info : Quelles sont les enjeux de cette technologie sur les plans agricole et environnemental ?

Docteur Jacob Sanou : Pour la production agricole, c’est de permettre à l’agriculteur de produire tous les mois de l’année. Dieu a béni le Burkina avec du soleil toute l’année avec des températures clémentes pour l’agriculture. Mais le problème d’eau fait que nous sommes obligés de nous arrêter huit mois sur douze parce que notre agriculture est essentiellement pluviale.

Mais avec la pisciculture où les gens vont développer des moyens pour mobiliser de l’eau, l’agriculture va devenir possible à travers des irrigations qui permettront de faire des cultures très intéressantes recherchées dans le pays. Maintenant la question de fertilisants viendra avec le poisson qui peut apporter à travers l’eau 60% de l’équivalent de l’engrais chimique qui est passé de 12000fcfa à 35000fcfa. En nourrissant bien ces poissons, ils constituent une opportunité de fertilisation pour les producteurs agricoles.

Les avantages de cette technologie, c’est d’étendre l’agriculture sur les 12 mois de l’année. C’est aussi rendre disponible les produits agricoles notamment maraichers, fruitiers car ces produits manquent beaucoup à nos consommateurs. C’est également un respect de l’environnement. Si vous faites de l’élevage de poisson c’est-à-dire la pisciculture et que vous devez rejeter tous les effluents dans la nature, il se pourrait que cela aille créer des phénomènes qu’on ne souhaite pas dans d’autres bassins comme les marigots qui ne s’écoulent pas normalement.

On peut s’attendre au développement de plantes non attendues telles que la jacinthe d’eau très vorace en azote. Cela peut rendre les eaux impropres et les habitants de ces eaux comme les grenouilles et les crapauds peuvent en pâtir. Pourtant ces espèces sont dans la chaine alimentaire et jouent un rôle important. Donc le fait de pouvoir réutiliser ces eaux avec des niveaux de fertilisants bien dosés sur des plantes permet justement d’avoir un environnement propre et sain. Au niveau économique, si beaucoup d’agriculteurs se mettent à pratiquer cette agriculture et à « ferti-irriguer », on aura la possibilité de réduire les importations.

Car on parle de produire des engrais depuis 1960 mais nous sommes en 2022 et il n’y a pas encore un seul espace où on peut trouver de l’engrais produit par les burkinabè. Reconditionné oui mais produit par des burkinabè, il n’y en a pas. Or il se trouve que les poissons produisent des fertilisants pour nous. Il suffit donc de développer la pisciculture et utiliser les eaux résiduelles pour arroser nos plantes. Il y a donc beaucoup d’enjeux économiques ; d’indépendance tout court parce que lorsque votre agriculture ne vous nourrit pas, vous dépendez des autres. Et votre agriculture n’est pas forcément durable car à tout moment un facteur de production peut manquer et vous allez avoir des difficultés.

Ouest Info : L’agriculture intégrée à la pisciculture est-elle donc une alternative, une sorte de résilience face à la cherté des engrais importés ?

Docteur Jacob Sanou : Disons-nous clairement les choses. On ne contrôle pas forcement ce qu’on importe. Loin de moi l’intention d’apeurer les uns et les autres mais nous n’avons pas d’unité très conséquente pour contrôler à tout bout de champ ce qui rentre dans le pays. C’est des échantillons qu’on prend. Si l’échantillonnage est fait sur les bons stocks qu’on nous envoie et on se dit que ça va, c’est bon. Et si on importe des milliers de tonnes, on ne peut pas tout échantillonner. Mais si c’est produit sur place, là on est à l’abri de pas mal de choses. On aura la qualité mais aussi les quantités qu’on attend à travers ces fertilisants.

Ouest Info : A vous écouter, c’est une innovation ambitieuse, est-ce qu’elle peut servir à faire des productions à grande échelle ?

Docteur Jacob Sanou : Absolument. Quand on parle de pisciculture, la plupart des Burkinabè va penser à un bassin alimenté en eau par un polytank où on met du poisson. Mais il faut se rappeler que nous avons de très grandes plaines. Je prends l’exemple du Sourou. Le Sourou est le bassin poissonnier le plus important du Burkina. De là-bas, ce qui est élevé dans les lacs et dans le fleuve peut servir à irriguer de grandes superficies agricoles. Il suffit de donner les moyens aux chercheurs de l’université et de l’INERA pour trouver la façon de nourrir ces poissons pour permettre d’avoir une eau plus fertilisante.

Ça peut être des bassins de grandes surfaces. On parle de Bagré qui peut être un site poissonnier. Actuellement, il y a juste une petite partie qu’on a délimitée et où on fait du poisson. Or tout le lac peut être poissonnier. Notre technologie, c’est nourrir et pouvoir récupérer les effluents. Avec cela ce n’est pas simplement des petits bassins qu’on va faire. Mais qu’à cela tienne, même avec les petits bassins, si tous les agriculteurs s’y lancent, ça donne de grandes superficies.

La superficie moyenne des fermes est de trois à cinq hectares. Imaginez que tous ces exploitants font des bassins. Non seulement la quantité de poissons va augmenter et la quantité de biofertilisants produit par le poisson va aussi augmenter. Ça va impacter très positivement l’économie du pays.

Ouest Info : La vulgarisation de l’innovation est en cours dans la région des Hauts-Bassins, les producteurs se l’approprient ou sont-ils plutôt réticents à son adoption ?

Docteur Jacob Sanou : A ma connaissance, il n’y a pas de réfractaires à notre technologie au sein des producteurs. Plutôt la demande est très importante au point où il faudrait multiplier par deux ou par trois les experts de l’équipe pour un appui conseil. Peut-être qu’avec les collègues de l’université, on va voir comment procéder à un transfert de masse et c’est en ça que je salue justement votre initiative parce que si les médias s’y mêlent, la démultiplication de l’information et de la formation peut être accessible à tout le monde. Maintenant, il y a quelques inconvénients car l’intégration de l’agriculture à la pisciculture va nécessiter quand même des moyens.

Et c’est ce qui retarde l’explosion de cette intégration agriculture-pisciculture. Là où l’eau n’existe pas naturellement, il faut un forage, des bassins et ça a un certain coût que ne peut porter aisément l’agriculteur moyen. C’est pour cela nous saluons l’initiative du ministère de l’agriculture et de la Sofitex aussi qui a décidé de faire des bassins. Ce n’était pas des bassins poissonniers mais des bassins pour retenir de l’eau pour arroser les cultures en cas de sécheresse. C’est une sorte de résilience par rapport à la sécheresse.

Nous nous allons empoissonner ces bassins. Ça permettrait à l’agriculteur d’avoir de quoi améliorer son bol alimentaire mais il aura aussi de l’eau plus fertilisée. Et quand on parle de fertilisants, c’est de l’azote, c’est du phosphore, du potassium et c’est de l’engrais produit bio. Aujourd’hui, les consommateurs attendent de l’agriculture un retour à la production biologique car ils veulent manger sain.

Du NPK (Azote, phosphore, potassium) produit par les usines, ils veulent que le NPK soit produit par le bio avec la transformation des matières organiques en compost. Pour le moment, je crois que la meilleure technologie agricole, c’est l’agriculture intégrée à la pisciculture. L’agriculteur du sahel a besoin d’eau et il a besoin de fertilisants. S’il fait du poisson en même temps, il se nourrit bien, il a de l’argent et il va certainement délivrer des produits qui correspondent à la demande des consommateurs.

Interview réalisée par Abdoulaye Tiénon/Ouest Info

La rédaction
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Ouest Info est un média en ligne basé à Bobo-Dioulasso dans la région de l’Ouest du Burkina Faso.

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