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Entre ombre et appétit : Le business silencieux de la viande de chien à Bobo-Dioulasso

A Bobo-Dioulasso, la vente de la viande de chien est un business florissant. Viande visiblement marginalisée, elle est pourtant prisée à l’abri des regards indiscrets. Des clients se disputent les bons morceaux dans l’ombre. A la rencontre de quelques vendeurs et consommateurs, cette viande se vend et se consomme discrètement dans les coins et recoins de Bobo-Dioulasso.

A Bobo-Dioulasso, beaucoup de gens s’en raffolent. Mais ils sont rares à assumer à visage découvert leur penchant pour cette chair. La viande de chien, c’est bel et bien de cette chair qu’il s’agit. Pour ce reportage, les excuses n’ont pas manqué à beaucoup de consommateurs et de vendeurs de cette viande pour éviter de se prêter à notre micro. Mais notre obstination finit par rassurer et mettre en confiance certains vendeurs et consommateurs qui ont accepté s’ouvrir à nous sur le sujet.

Robert, l’étudiant vendeur de viande de chien

Il est 19h30 ce mardi. Dans la pénombre, une fumée fumante s’échappe d’une marmite de taille moyenne sur un foyer de fortune à trois pierres. A côté, trois silhouettes échangent autour d’une table. Comme des clients, nous nous approchons, une croupe de chien trône royalement sur la table.

Un morceau de viande de chien disputé par des clients

Nous tombons sur la dispute de deux clients sur le gros et bon morceau, chacun voulant repartir avec. 3000 FCFA, c’est le prix du vendeur pour le morceau. Au finish le plus offrant se l’adjuge à 4500 FCFA.

Le client perdant de la croupe tourne vers la marmite pour chercher désespérément un morceau aussi généreux que le bon morceau qui vient d’être emporté. Après quelques minutes de fouille dans la marmite bouillonnante, il se redresse. « Tu as vendu tous les bons morceaux me laisser. Il ne reste plus que de la graisse pourtant tu savais que j’allais passer », lance-t-il au vendeur avant d’avancer vers sa voiture fourgonnette pour bientôt disparaitre dans la légère obscurité de cette nuit tombante.

La viande de chien est soigneusement préparée dans une marmite

Le vendeur c’est Robert, un nom d’emprunt souhaité par notre source. Robert n’est autre qu’un jeune étudiant en 2è année d’électrotechnique dans une université privée de la place. Il aide son frère à préparer et à vendre la viande de chien devant un maquis à Sarfalao. Décomplexé dans la vente de la viande de chien, il a néanmoins requis l’anonymat de peur de condamner son avenir professionnel.   

Bien qu’il mène cette activité de manière occasionnelle, rien de ses contours lui échappe. « Les prix des chiens vivants se situent entre 15 000 FCFA et 20 000 FCFA. Quand nous abattons, arrangeons et préparons, nous pouvons revendre la viande jusqu’à 30 000 FCFA voire plus. Je peux donc dire que c’est bénéfique », confie l’étudiant.

L’étudiant vendeur de viande de chien

Comme principale difficulté rencontrée dans la vente de la viande de chien, c’est le fait de se retrouver souvent avec des chiens gras dont la graisse domine la chair. Or, souligne-t-il, les consommateurs n’aiment pas la viande qui a trop de graisse. « Quand on tombe sur un chien de ce genre, c’est une perte car on ne peut pas vendre cette viande à un bon prix. Ce qui nous sauve un peu souvent, c’est le fait que certains clients ont besoin de la graisse de chien pour des besoins que nous ignorons », explique le jeune vendeur occasionnel de viande de chien.

Pour ce qui est des clients, il fait savoir qu’il y a deux catégories. Ceux qui viennent acheter sans complexe et ceux qui ne veulent pas se faire repérer devant la viande de chien. Certains de ces derniers commandent et se font livrer et d’autres choisissent les moments où il n’y a pas d’autres clients à notre table. Peu importe la catégorie du client, l’essentiel pour Robert c’est de gagner son compte quand il est à la manœuvre.

Ziem Somda dit Abeffamou, un vendeur expérimenté de viande de chien

Trapu, de teint noir et presque la cinquantaine, ses clients l’appellent “Abeffamou” pour traduire “ça se comprend”. Un sobriquet qui incarne la simplicité et la compréhension de l’homme vis-à-vis des désidératas de ses clients. Ce dimanche matin d’octobre 2025, il est presque 11h sous un hangar aux abords de la grande route qui sépare Sarfalao du secteur 26. Le téléphone collé à l’oreille, il est en contact avec des clients pendant qu’une marmite mijote.

A l’intérieur, les morceaux d’un chien entier. Nous avons rendez-vous avec l’homme qui est peu bavard. Il nous met en attente car ses morceaux de viande sont prêts à être servis. A l’aide d’un bâton au bout bien acéré, il fait sortir de la marmite les morceaux de viande les uns après les autres. Il met à l’écart de gros et bons morceaux pour les commandes qu’il vient d’enregistrer au téléphone.

Comme s’il avait donné rendez-vous aux clients, ils commencent à se succéder à la table de son assistant Elie Koné, chargé de la cuisson et de la vente. Si certains clients payent cash, certains autres paient par des transferts mobile money. En moins de trente minutes, plus un seul morceau disponible à la vente. Tout est vendu et il ne reste plus que la soupe pour consoler les retardataires du jour abonnés à la viande de chien.

Ziem Somda dit Abeffamou en train d’enregistrer des commandes au téléphone

Au même moment, le téléphone de Abeffamou sonne avec insistance. Il décroche. Les nouvelles sont bonnes pour lui et les clients qui étaient sur le point de repartir bredouille. « On vient de me donner les nouvelles d’un chien. Je vais le chercher », confie Abeffamou après son appel téléphonique. Certains clients retardataires profitent lancer leurs commandes sur les morceaux du chien annoncé. Pour garantir leurs commandes, certains autres ont payé avant de bouger.

Avant d’aller sur les traces du chien qui l’attend à l’autre bout de la ville, il nous accorde quelques minutes d’entretien. Sur son activité, il donne des détails. « Je vends la viande de chien, il y a plus de dix ans. J’ai beaucoup de clients. J’ai leurs numéros. Dès que j’ai un chien, je les contacte avant même de mettre la marmite au feu. Pour les chiens, ce sont des propriétaires qui nous appellent et nous partons acheter. Quand nous achetons un chien, nous l’abattons, nous l’arrangeons et nous préparons en même temps pour servir nos clients. Hormis la saison d’hivernage où le marché est lent, de manière générale, la viande de chien est une viande prisée. Elle ne suffit même pas. Nous gagnons notre pain quotidien dans ça et nous pouvons donc dire que c’est bénéfique », avoue Abeffamou.

Les prix des chiens vacillent entre 12 500 FCFA et 20 000 FCFA selon ce dernier. Avec Koné son assistant, ils arrivent à faire des gains intéressants surtout avec les demandes de certaines parties comme les yeux, la langue, les pattes, la bile ou les mâchoires de chien. Mais la difficulté de l’activité est qu’ils manquent souvent de chien à abattre. Ce qui fait qu’ils sont souvent obligés de s’adonner à d’autres petites activités pour compenser les périodes de manque de bête.

Abeffamou donnant des instructions à son assistant Koné

Toutefois, Abeffamou est sourd aux préjugés sur la viande de chien. Pour lui, ces ragots sonnent comme « le chien qui aboie pendant que la caravane passe sereinement ».   

Souleymane Sanou, consommateur de la viande de chien depuis plus de 40 ans

La soixantaine bien sonnée, Souleymane Sanou est un vieux consommateur de viande de chien. Depuis maintenant 40 ans, il ne rate jamais l’occasion de se prendre un bon morceau chaque fois qu’il le peut. « Je suis venu ici ce matin pour me servir en viande de chien. Je suis un gros consommateur de cette viande depuis plus de 40 ans et je viens souvent trouver que c’est fini. Et c’est le cas ce matin. Les fois où j’en gagne, ça me réjoui car c’est une très bonne viande. C’est une viande qui a beaucoup de vertus. Elle est utilisée dans la médecine traditionnelle pour soigner des maladies. Je dis cela car mes grands parents l’utilisaient dans la pharmacopée et il y a des tradipraticiens qui utilisent toujours certaines parties comme les pattes, la tête, les mâchoires, les yeux, la gueule, la bile, le museau ou les sexes des chiens pour des soins », à en croire le sexagénaire.

Souleymane Sanou en train de boire de la soupe de chien après avoir raté la viande

Pour les préjugés et le dénigrement portés à l’égard des consommateurs de la viande de chien, il invite les auteurs de ces critiques stériles au respect du choix de vie des autres.

Christine Somda, une jeune fille qui consomme la viande de chien pour ses vertus mystiques

Christine Somda sort à peine de l’adolescence. Âgée de 21 ans, elle consomme la viande de chien depuis son enfance. Elle a appris à consommer cette viande avec sa grand-mère et plus tard avec son père. Elle nous confie savoir même bien préparer la viande de chien, car son père achète souvent des chiens qu’il abat et fait préparer en famille. « Je sais bien préparer la viande de chien car mon père en abat souvent. Cette viande se prépare avec juste de la levure et sans autres condiments », foi de Christine.

A la question de savoir si elle consomme la viande de chien pour son goût ou pour ses vertus, la jeune fille répond sans détour. « Je consomme la viande de chien parce que c’est une viande qui a des vertus mystiques. Ça protège contre les sorciers et les mauvais sorts. Si tu sèches la bile du chien et que tu l’adjoins à ta pommade, tes ennemis se révèlerons à toi. Je tiens ce secret de ma grand-mère », affirme la jeune fille avec conviction.

Comme Christine Somda et Souleymane Sanou, les consommateurs de la viande de chien sont de plus en plus nombreux à Bobo-Dioulasso. Ce qui en fait un business florissant pour ceux qui abattent les chiens pour la vente de leur viande. La renommée de certains vendeurs a même traversé les frontières du pays. C’est le cas de ce vendeur spécialisé dans le séchage de la viande de chien que certains de ses clients achètent pour expédier à leurs amis dans des pays voisins. C’est une des clientes de ce vendeur spécialisé qui nous a vendu la mèche sous anonymat.

Pour ses vertus mystiques ou pour sa saveur exquise, la viande de chien est une viande prisée dans l’ombre à Bobo-Dioulasso.

Abdoulaye Tiénon/Ouest Info

tienonabdoulaye@yahoo.fr

La rédaction
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Ouest Info est un média en ligne basé à Bobo-Dioulasso dans la région de l’Ouest du Burkina Faso.

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