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Formation professionnelle inclusive dans les Hauts-Bassins : Saïdou Nikièma ou le symbole du handicap assumé

Saïdou Nikièma est une personne vivant avec un handicap visuel. Ayant perdu la vue à l’âge de quatre (04) ans, il est aujourd’hui en formation professionnelle à l’Institut Régional d’Administration des Hauts-Bassins (IRA/Hauts-Bassins) pour sortir adjoint des affaires culturelles. Agent de bureau au ministère de l’éducation nationale au paravent, Saïdou Nikièma est aussi artiste musicien. Possesseur de la carte d’invalidité, le futur adjoint des affaires culturelles l’a utilisée pour constituer son dossier au concours qui lui a ouvert les portes de l’Ecole Nationale d’Administration (ENAM), une prestigieuse école publique de formation professionnelle et professionnalisante. Saïdou Nikièma reste cependant sur sa soif quant à l’effectivité des avantages de la carte d’invalidité. Ainsi, il plaide pour l’application effective de la loi 012 qui institue cette carte afin d’assurer le parfait épanouissement des personnes en situation de handicap au Burkina Faso. Cette production est réalisée avec la participation de Canal France International (CFI) dans le cadre du 3ème concours du projet Afri’Kibaaru, un projet de développement Médias en Afrique.

1,80 mètre pour plus de 80 kg, c’est le résumé physique d’un homme à la corpulence imposante. Tout comme son physique, il est aussi doté d’une intelligence, d’une morale et d’un moral imposant. Sa force de caractère suscite l’admiration de son entourage. Un premier contact avec lui est susceptible de faire garder de lui un souvenir inoubliable. Très taquin, il ne laisse jamais son entourage s’ennuyer. Les mots sont moins forts pour décrire l’homme à sa juste valeur. Et pourtant, il vit avec un handicap visuel. Cet homme, c’est Saïdou Nikièma, élève adjoint des affaires culturelles à l’Institut Régional d’Administration des Hauts-Bassins (IRA/Hauts-Bassins) basé à Dioulasso.

Saïdou Nikièma et son étrange destin

Natif de Pouytenga dans la région du Centre-est, Saïdou Nikièma était loin de penser à un si étrange destin à sa naissance en 1993. Ses trois premières années de vie sont des plus joyeuses comme tout enfant ordinaire. Mais à l’âge de quatre ans, sa vie va basculer. Il est frappé d’un violent coup par la rougeole, une maladie qui faisait rage à cette époque. Son sens responsable de la vue ne résiste pas au choc. Il perd progressivement la vue. A l’âge de la scolarité, Saïdou était déjà totalement aveugle. Transporteur de son état, son père tient à ce qu’il soit scolarisé. Il cherche des voies et moyens pour l’envoyer à l’école. Il l’inscrit d’abord dans une école classique mais le jeune garçon sans vue ne tient pas le coup. Le père finit par se résoudre à envoyer son fils à Ouagadougou. Il l’inscrit à l’école des jeunes aveugles de l’Association Burkinabè pour la Promotion des Aveugles et Malvoyants (ABPAM). Là-bas, il obtient le CEP et l’entrée en 6ème en 2006.

Saïdou Nikièma a su dompter son handicap

Saïdou est affecté au lycée Song-Taba de Ouagadougou. Il a du mal à s’adapter. Il est inscrit dans un autre lycée où il redouble d’efforts pour obtenir son Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC) en 2012. Difficile pour Saïdou de poursuivre ses études malgré que la carte d’invalidité était déjà en vigueur. A l’aide de cette carte, il réussit à intégrer la fonction publique en 2014 comme agent de bureau au compte du Ministère de l’éducation nationale. Il était quasiment impossible pour lui de postuler aux concours professionnels. Saïdou ne limite pas pour cela ses ambitions. Il continue à se former avec ses solides connaissances en informatique. Il décroche ainsi son Baccalauréat série A4 en 2018.

Saïdou défie les difficultés de parcours

A la faveur de la décision de quota pour les personnes en situation de handicap aux concours directs et professionnels de la fonction publique en 2019, Saïdou défie toute sorte d’adversité et parvient à réussir au concours professionnel de recrutement des gestionnaires des ressources humaines en 2020. Il est éliminé par la suite car le concours avait une exigence particulière. « J’ai été éliminé lors du dépôt physique des dossiers car l’intitulé du concours exigeait que le postulant ait déjà une expérience en GRH. Une condition que je ne remplissais pas », explique le futur professionnel des affaires culturelles. Cette situation ne décourage pas le jeune battant. Il postule en 2022 au concours de recrutement d’adjoints des affaires culturelles.

Actuellement en formation à l’IRA/Hauts-Bassins, Saïdou Nikièma n’éprouve aucune difficulté à s’adapter aux conditions de la formation. « Avec mes connaissances en informatique acquises en 2011, j’arrive à suivre normalement les cours comme les autres. Avec les cours sur des supports numériques, j’arrive à les exploiter convenablement en les mettant sur mon ordinateur. Ainsi je fais mes devoirs sur ordinateur et je les copie par la suite sur une clé USB et je remets à l’administration qui prend le soin de les tirer sur support papier pour les remettre aux professeurs », l’énarque explique-t-il sa stratégie d’adaptation à la formation.

Par ailleurs, ce dernier se souvient encore des difficultés qu’il a rencontré dans son cursus scolaire. Après les études primaires, la suite de la scolarité de Saïdou Nikièma est fait de tumultes. Au lycée Song-Taba, le jeune élève non voyant ne tient pas le coup car on ne lui fait aucune faveur. Il est obligé de changer d’établissement. « A ma classe de 6ème au lycée Song-Taba, j’avais une voisine qui refusait de me dicter les cours. Si j’insistais, elle me disait qu’on ne lui paie pas de l’argent pour le faire. J’ai négocié pour qu’elle cède sa place à quelqu’un qui pourrait m’aider à le faire. Mais cette doléance est restée sans suite. Par la suite je me suis rendu compte que l’administration de l’établissement était dans le même état esprit que ma voisine car un de ses responsables m’a une fois dit que si on trouvait un cadre spécial pour nous, ce serait mieux. J’étais obligé de quitter cette école pour une autre. Là-bas aussi, ce n’était pas facile mais j’ai gardé le moral haut et j’ai pu obtenir mon BEPC », se remémore l’énarque qui a su utiliser ses difficultés de parcours pour forger sa personnalité.

Pour Saïdou Nikièma, les difficultés qu’il a rencontrées ont contribué à son succès. « Si on nous avait chéri comme on le voulait, ce n’était pas sûr qu’on puisse parvenir à l’étape où on est aujourd’hui », se convainc l’ami de la bonne ambiance comme certains de ses camarades l’appelle.

Saïdou Nikièma est aussi artiste musicien et slameur

Neveu de Sadiouidi Pierre, célèbre artiste burkinabè d’une certaine époque, l’enfance de Saïdou Nikièma est bercée par les séances de répétition de son oncle. Il finit par piquer le virus de la musique. Il passe une bonne partie de son adolescence à interpréter des artistes musiciens de renom comme Black So Man, Tiken Jah Fakoli, Alpha Blondy, Grand Corps Malade.

Il développe ainsi un talent musical qui fait de lui aujourd’hui un artiste musicien confirmé. De son nom d’artiste Nik Saï, il a aujourd’hui à son actif des opus sur le marché de disques. Dans ses chansons, il plaide pour la cause de la personne handicapée. Il entend s’organiser pour se tailler une belle carrière artistique qu’il aura à coupler avec sa carrière de futur professionnel des affaires culturelles.

Saïdou, le symbole d’un handicap assumé qui plaide pour une effectivité des avantages de la carte d’invalidité

Le parcours de Saïdou montre à souhait qu’il assume sa situation. Il a une parfaite connaissance de la loi 012-2010 portant promotion et protection des droits des personnes en situation de handicap. Il est un des premiers à établir la carte d’invalidité au Burkina Faso. C’est d’ailleurs grâce à cette carte qu’il a pu intégrer la fonction publique. C’est encore avec cette carte qu’il a pu postuler au concours professionnel qui l’a conduit à l’IRA/Hauts-Bassins où il est en train de parachever sa formation. Il ne manque pas de saluer cette fenêtre qui est ouverte aux personnes en situation de handicap dans la fonction publique.

Quant aux autres avantages qu’offrent la loi 012-2010 et la carte d’invalidité, Saïdou Nikièma reste sur sa soif. En formation à Bobo-Dioulasso depuis 2022, il ne constate pas l’effectivité de la carte d’invalidité dans cette ville. C’est seulement la SOTRACO qui met en œuvre les avantages de cette carte en faisant un demi-tarif pour les personnes en situation de handicap selon l’énarque. Il y a aussi Rahimo, une compagnie privée de transport qui, ajoute Saïdou, fait la faveur du demi-tarif aux détenteurs de la carte d’invalidité. « Je viens de renouveler ma carte d’invalidité. Je l’ai fait pour juste prouver que je suis une personne en situation de handicap sinon les avantages ne sont pas vraiment effectifs. Si seulement la moitié des avantages qu’offre la carte d’invalidité était effective, on serait déjà bien épanoui », fait savoir Nik Saï qui déplore les conditions des personnes en situation de handicap d’un ton calme qui camoufle mal son mécontentement.

Les témoignages sur Nik Saï

A l’IRA/Hauts-Bassins, Nik Saï est connu de tous. Il fait l’objet d’admiration tant pour son intelligence que pour son humour plaisant. Ousmane Ouédraogo est le chef de service des études et des stages de l’IRA. Pour lui, l’institut a un minimum de dispositions infrastructurelles pour faciliter la formation des personnes en situation de handicap notamment des rampes d’accès aux bâtiments et des toilettes spécifiques. Avec ou sans la carte d’invalidité, les personnes en situation de handicap bénéficient d’une attention particulière à l’IRA selon Ousmane Ouédraogo. Au sujet de Saïdou Nikièma, le chef de service des études et des stages de l’IRA manque de mots justes pour expliquer le courage et l’ouverture d’esprit de l’homme. « C’est un homme très intéressant », l’a-t-il résumé.

Dans son entourage, il force l’admiration

Talato Arouna Goubou est l’ami de l’homme au courage enviable. C’est lui qui assure son transport et qui l’aide à se déplacer. Il est fier d’être dans cette posture avec Nik Saï. Dans son témoignage sur ce dernier, il fait savoir que c’est un homme qui aime la perfection. Il surprend les gens avec sa faculté d’adaptation aux situations. Il arrive à épater tout le monde y compris les formateurs. Pour Talato Arouna Goubou, Saïdou Nikièma doit être un cas d’école pour toutes les personnes en situation de handicap. Il est convaincu que son camarade non voyant s’en sort mieux dans la vie que des personnes dites ordinaires.

Sirinatou Nana est en formation avec Nik Saï à l’IRA/Hauts-Bassins. Pour elle, Nik Saï a tellement su dompter son handicap qu’elle ne voit en lui rien de différent avec les autres. C’est selon elle une personne exceptionnelle qui a des talents naturels. « Je prépare les évaluations avec lui. Je vous assure qu’il est doté une intelligence admirable. Si on lui lit une phrase deux fois, c’est suffisant pour qu’il mémorise le contenu. De notre promotion, moi je lui considère comme notre major. Il est très plaisant. Quand on est avec lui, on oublie qu’il a un handicap », témoigne la jeune dame sur Saïdou Nikièma pour qui elle nourrit beaucoup d’estime.

De tous les témoignages sur Nik Saï sa force de caractère est palpable. Comme défaut apparent Nik Saï ne se laisse jamais convaincre quand il prend position par rapport à un sujet. Avec élégance et courtoisie, il cherche toujours à avoir raison pendant les débats. Cette conviction dans les pensées et la fierté de les exprimer montre à quel point l’homme est décomplexé de sa situation.

Les avantages accordés aux personnes en situation de handicap vus par Nik Saï comme une question d’équité

Du reste Nik Saï reste optimiste et invite ses camarades en situation de handicap à ne pas se résigner. Pour lui, seul le travail acharné pourrait valoriser la personne handicapée et la mettre au même niveau que les autres. « J’invite mes camarades à travailler dur car compte tenu de notre handicap, nous devons faire le double de ce que les autres font comme efforts pour être à leur niveau. Nous sommes capables et c’est à nous de faire ce qu’il faut pour que les gens sachent qu’on est réellement capable. Nous n’avons aucune raison qu’on s’apitoie toujours sur notre sort », Saïdou Nikièma donne-t-il une leçon d’estime et de valorisation de soi à ses camarades.

Ce dernier conditionne les résultats des efforts des personnes en situation de handicap par la mise en œuvre effective de l’arsenal juridique qui les protège non pas par pitié mais par souci d’équité sociale. L’énarque est convaincu que si seulement une partie des avantages offerts par la carte d’invalidité était effective, les personnes en situation de handicap se sentiraient mieux. « Si seulement la moitié des avantages de la carte d’invalidité était effective, on serait déjà épanouie », martèle Saïdou Nikièma pour dénoncer le manque d’effectivité des avantages de la carte d’invalidité dont il est détenteur.

L’homme est convaincu que le manque de résultats dans les efforts faits pour l’épanouissement des personnes en situation de handicap est en partie dû au fait qu’elles ne sont pas suffisamment impliquées dans la prise des décisions relatives à leur situation. « On est parfois tenté de dire que tout ce qui se fait pour nous sans nous est contre nous. Nous sommes mieux placés pour savoir où se trouvent nos priorités. Mais si on prend les décisions sans nous impliquer, comment cela peut donner de bons résultats », Nik Saï invite-t-il les autorités politiques à toujours consulter les personnes en situation de handicap avant de prendre des décisions à leur endroit.

Du haut de toute considération, le trentenaire estime que la place de la personne handicapée ne peut être reluisante que si leurs parents leur font aussi confiance comme leurs autres enfants dits normaux. « Pour que nous soyons mieux valorisés, nos parents doivent être les premiers à nous considérer et à avoir confiance en nous. Je dis cela car nous sommes parfois des rejetés dans nos propres familles. Nos parents doivent croire en nous et nous accompagner comme leurs autres enfants », NiK Saï plaide-t-il auprès des familles des personnes en situation de handicap pour une société plus inclusive.

Saïdou Nikièma ou Nik Saï, marié et père d’un enfant est le symbole d’une personne décomplexée face à son handicap. Unique enfant de ses deux parents, il fait leur fierté par sa détermination et sa volonté de se faire une place au soleil. Saïdou est, en un mot comme en mille, la métaphore de la résilience face aux difficultés à l’image du roseau qui plie et replie sous l’effet du vent sans jamais se rompre.

Avec la participation de Canal France International (CFI) dans le cadre du 3ème concours du projet Afri’Kibaaru, un projet de développement Médias en Afrique.

Abdoulaye Tiénon     

La rédaction
La rédaction
Ouest Info est un média en ligne basé à Bobo-Dioulasso dans la région de l’Ouest du Burkina Faso.

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