Alors que le vote pour renouveler le conseil d’administration d’AfriNIC a repris le 18 juin, un candidat indépendant originaire du Burkina Faso, ancien acteur de la diplomatie numérique africaine, se démarque. Dans un contexte de crise prolongée, Rodrigue Guiguemde incarne une volonté de refonder la gouvernance technique à l’échelle du continent.
Lancé mardi 18 juin, après une suspension de dernière minute par la Cour suprême de Maurice, le vote visant à reconstituer le conseil d’administration de l’African Network Information Centre (AfriNIC) marque une tentative de sortie de crise pour une institution stratégique du numérique africain.
Parmi les huit candidats présentés par une coalition panafricaine, un profil attire particulièrement l’attention : celui de Rodrigue Guiguemde, ingénieur et expert en gouvernance de l’Internet, originaire du Burkina Faso.
Une candidature à l’intersection de la technique et du politique
Ancien vice-président du Governmental Advisory Committee (GAC) au sein de l’ICANN – l’organisme international chargé de la coordination des ressources Internet, M. Guiguemde est également passé par plusieurs structures africaines engagées dans le développement des politiques numériques. Actuellement en mission auprès de Smart Africa, il a participé, ces derniers mois, aux discussions techniques et diplomatiques qui ont abouti à la relance du processus électoral d’AfriNIC.
Son parcours croise plusieurs dynamiques : celles de la diplomatie numérique multilatérale, des communautés techniques africaines, et de la recherche de solutions politiques concertées. Au Burkina Faso, il a contribué à la définition de stratégies nationales sur la transformation numérique. À l’échelle continentale, il a représenté les positions africaines dans les débats internationaux sur la gouvernance de l’Internet.

Sa candidature se veut indépendante, mais s’inscrit dans une liste soutenue par une coalition d’acteurs techniques, de gouvernements, et d’organisations intergouvernementales, dont Smart Africa. Ce collectif entend proposer une gouvernance apaisée, professionnelle, et conforme aux standards internationaux de transparence.
Dans les entretiens qu’il a accordés à des membres de la communauté technique ces dernières semaines, M. Guiguemde insiste sur « la nécessité de reconnecter AfriNIC à ses membres », de « restaurer un climat de confiance », et surtout de « garantir que les ressources critiques comme les adresses IP ne soient plus jamais instrumentalisées contre les intérêts africains ».
Un registre au cœur de la tourmente
AfriNIC est l’un des cinq registres régionaux dans le monde chargé de distribuer les adresses IP. Son équivalent européen est basé à Amsterdam (RIPE NCC), celui d’Amérique du Nord à Chantilly (ARIN). L’Afrique, longtemps sous-représentée dans l’écosystème Internet mondial, s’est dotée de cette structure en 2005, installée à l’île Maurice. Mais depuis 2020, l’organisation est paralysée par un contentieux avec Cloud Innovation Ltd, une entreprise basée aux Seychelles à qui elle reproche d’avoir détourné des ressources IP.
Le différend s’est mué en guerre judiciaire. Plus de cinquante procédures ont été engagées. Les comptes bancaires de l’organisation ont été bloqués. La tenue des assemblées générales et des élections a été suspendue. La situation a révélé l’absence de filet de sécurité institutionnel à l’échelle continentale. AfriNIC, soumis au droit local mauricien, n’a reçu aucun appui formel des institutions régionales ni de l’Union africaine.
La reprise du processus électoral, sous la supervision d’un Receiver judiciaire, s’effectue dans un climat de méfiance. Le vote, ouvert jusqu’au 23 juin, se déroule en ligne. Ses résultats devront être validés par la justice mauricienne avant toute mise en œuvre.
Un enjeu pour la souveraineté numérique africaine
La candidature de Rodrigue Guiguemde est perçue, par certains observateurs, comme l’une des plus à même d’incarner une passerelle entre le monde des institutions et celui des communautés techniques. « Il connaît les rouages internes de l’ICANN, il a déjà travaillé avec des gouvernements, mais il reste proche des réalités de terrain, notamment celles des petits opérateurs africains », indique un membre du réseau AfriNIC joint par la Rédaction.
Ses détracteurs lui reprochent toutefois sa proximité avec Smart Africa, craignant une forme de politisation du registre. Mais cette critique semble modérée par le fait que tous les candidats figurant sur la liste dite « de coalition » ont été proposés à l’issue de consultations multipartites, et validés par plusieurs communautés membres.
Dans les débats récents sur la souveraineté numérique, M. Guiguemde a défendu une position de juste équilibre entre intégration continentale et autonomie technique locale. Selon lui, « la souveraineté ne se décrète pas, elle se structure : par la compétence, la transparence et la solidarité institutionnelle ». En cas d’élection, il affirme vouloir travailler à une réforme interne de la gouvernance d’AfriNIC, en impliquant davantage les membres dans les processus décisionnels.
Vers une sortie de crise ?
L’élection en cours reste incertaine. Les tensions juridiques ne sont pas totalement éteintes. Une contestation ou un recours de dernière minute pourrait à nouveau retarder le processus. Mais plusieurs signaux positifs sont relevés : une mobilisation plus large que lors des scrutins précédents, une communication plus régulière des responsables de la procédure, et un appui politique plus clair de certains États africains.
Dans ce contexte, la présence de profils comme celui de Rodrigue Guiguemde offre une perspective de transition crédible. À condition que le vote soit concluant, et que le futur conseil élu bénéficie d’un soutien opérationnel durable pour remettre l’institution sur pied.