Les fêtes de fin d’année sont généralement des périodes de mise en beauté pour la plupart des femmes. Que ce soit les salons de coiffure, les salons de manicure et pédicure, les boutiques de vente d’habits sont tous pris d’assaut en ces périodes de fêtes. Si certaines femmes préfèrent les services de leurs sœurs, d’autres par contre se dirigent vers les salons tenus par les hommes. A Bobo-Dioulasso, pas mal d’hommes exercent les métiers dits métiers de femmes tels que la coiffure, le tatouage, le henné, les manicure et pédicure. Ainsi, une équipe de Ouest Info a décidé d’aller à la rencontre de ces hommes qui embrassent les métiers de femmes le vendredi 29 décembre 2023.
Sillonnant les artères de la ville de Bobo-Dioulasso ce vendredi 29 décembre 2023 aux environs de 13h, nous nous sommes retrouvées au salon de beauté « Rêve de femme » au secteur 29. Nous sommes accueillies par une forte musique depuis le bord du goudron témoignant l’ambiance qui règne à l’intérieur du salon. Déjà à l’entrée des femmes sont assisses en file indienne sur des bancs. Nous comprenons très vite qu’elles sont en attente pour se faire belle. Après les civilités, nous demandons à rencontrer le propriétaire des lieux.
Ahmed Ouédraogo se présente à nous comme étant le PDG de cet institut de beauté. A première vue, il nous prend pour des clientes. Mis au courant de l’objet de notre présence, il n’hésite pas à s’entretenir avec nous. Dans nos échanges, il nous révèle qu’il exerce ce métier depuis 2012. Et ce sont entre autres le tatouage de henné, le gommage, le maquillage, la pédicure et manicure ainsi que la vente des accessoires féminins qui rythment le quotidien de Ahmed Ouédraogo dans son institut de beauté. Pour lui, travailler dans un salon de beauté pour femmes est un métier très noble comme tout autre, qui peut être exercé par une femme ou par un homme.
« Si nous en tant qu’hommes nous exerçons ce travail, c’est parce que de nos jours, nous ne faisons pas de différence entre un métier d’homme ou de femme. Il n’y a pas de sot métier ni de différence entre les métiers. J’ai été à l’école et j’ai des diplômes. Mais au lieu d’attendre les concours, j’ai décidé d’apprendre un métier afin d’être indépendant. A l’école nous faisions déjà des dessins et dans ce travail, il faut savoir dessiner et avoir de l’imagination. Cela m’a permis d’être plus performant. J’ai pu former plus d’une quarantaine de jeunes qui sont, pour certains, installés aujourd’hui à leurs propres comptes. Je continue toujours à recevoir des apprenants qu’ils soient hommes ou femmes, je ne rejette personne », Ahmed Ouédraogo nous a-t-il expliqué les raisons qui l’ont poussé à embrasser ce métier.
Issiaka Sankara est l’un des apprenants de Ahmed Ouédraogo. Il a commencé sa formation en tatouage de henné depuis moins d’une semaine et jusque-là, il dit ne pas regretter pas sa décision. « Il y a beaucoup de métiers mais j’ai décidé d’apprendre le métier de tatouage car c’est un métier noble. Il est difficile de trouver un travail ici à Bobo. Beaucoup de jeunes sont au chômage et pour cela j’ai décidé d’apprendre un métier et c’est le tatouage qui me plait le plus. Notre maître aussi est un professionnel et depuis que je suis là, j’apprends beaucoup à ses côtés », a-t-il fait savoir.
Un peu comme Ahmed Ouédraogo, Harouna Guiré quant à lui, évolue dans le milieu des tatouages au marché du secteur 21 de Bobo-Dioulasso. Là également, nous sommes accueillies par la musique. A notre salutation, Harouna répond sans nous jeter un coup d’œil. Visiblement concentré à mettre le henné sur les mains d’une dame.
Quelques minutes d’attente et nous voilà à la fin de son chef-d’œuvre jugé très satisfaisant par la dame qui, manifestement est une habituée des lieux. Se retournant vers nous, il nous invite à prendre place pour mettre le henné car il nous a pris pour des clientes. Harouna Guiré comprend très vite les raisons de notre présence dans son salon. Il s’ouvre à nous et s’en suit les échanges.
Il exerce ce métier depuis plusieurs années déjà. Jadis, il avait cessé de le pratiquer afin de s’aventurer vers d’autres métiers mais il a fini par revenir à son métier de tatoueur. « J’ai commencé le métier de tatouage de henné depuis les années 1999. Après j’ai arrêté pour essayer un autre travail mais j’ai fini par changer d’avis et revenir vers mon ancien métier depuis plus d’une quinzaine d’années maintenant ».
Pour Harouna Guiré, il faut aimer l’art, les dessins et avoir l’amour du métier pour exceller dans le domaine de tatouage de henné. Ce sont là, le secret de son excellence dans le métier considéré comme celui des femmes.
Un travail avec beaucoup de préjugés
Le métier de tatouage de henné était jadis pratiqué par les femmes mais de nos jours plusieurs hommes s’y adonnent à l’image de Harouna Guiré et Ahmed Ouédraogo. Ils soulignent tous que beaucoup de préjugés tournent autour du métier qu’ils pratiquent en tant qu’hommes.
Pour ces artisans du henné, il y a des préjugés autour de la plupart des métiers du monde mais, soutiennent-t-ils. Pour faire face à ces stéréotypes, ils conseillent le professionnalisme et suggèrent de ne pas écouter les gens.
« La pratique de ce métier est un peu compliqué pour nous en tant qu’homme car les gens nous jugent et nous traitent de tous les noms. Certains même nous traitent d’homosexuels car il y a certains travailleurs dans les salons de beauté qui se comportent comme des femmes. Je pense qu’il n’y a pas de mauvais travail, juste qu’il existe des personnes mal intentionnées. Et cela existe dans tous les domaines d’activités que ce soit chez les commerçants, les couturiers, les salariés et même les fonctionnaires. C’est à nous de changer l’étiquette que les gens nous collent en travaillant plus dur », nous a confié Ahmed Ouédraogo d’un ton calme et serein sur les préjugés autour de son métier.
Allant dans ce même sens, Harouna Guiré renchérit en affirmant que c’est le fait de travailler plus avec les femmes que certaines personnes apprécient moins et font des jugements. Pour lui, les critiques et les jugements leurs permettent de s’améliorer pour pouvoir faire plaisir à la clientèle.
La morosité du marché cette année
Tout comme dans plusieurs secteurs d’activités, les propriétaires de salons de beauté n’ont pas manqué de souligner la morosité du marché ces dernières années. En chœur, ils sont unanimes sur la situation sécuritaire et humanitaire du pays qui paralysent leur activité.
« Il y a une très grande différence entre cette année et les années précédentes. Je croyais que c’était parce que j’avais fait un réaménagement au sein de mon salon. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas car, j’ai discuté avec certains de mes ami(e)s qui font le même travail que moi et le constat est pareil. Je pense que c’est la situation sécuritaire qui affecte les secteurs d’activités du pays. En effet, si une femme décide de se rendre belle c’est parce qu’elle se sent en sécurité et a de quoi manger », souligne Ahmed Ouédraogo, PDG du salon de beauté « Rêve de femmes ».
Ce dernier affirme qu’il pouvait avoir environs 100 à 200 clientes par jours à l’approche des fêtes mais, cette année il est même difficile d’avoir 100 clientes par jour.
Harouna Guiré quant à lui, espère se frotter les mains à la dernière minute car dit-il, « cette année il n’y a pas d’engouement alors que les années antérieures en cette même période, il y avait déjà une longue file d’attente. J’espère que demain et après-demain j’aurai du monde car les femmes attendent la dernière minute pour venir ».
Pour Harouna également la situation sécuritaire n’est pas à leur faveur. En effet, « l’insécurité ralenti les affaires car dans les année antérieures, certaines de nos clientes quittaient les communes rurales et d’autres villages pour faire leurs achats en ville et profiter se faire belles dans nos salons de beauté. Mais avec l’insécurité, elles n’arrivent plus à venir et se sont même faites chasser de leurs villages », le tatoueur professionnel diagnostique-t-il la situation qui n’est pas à leur faveur.
Les difficultés ne manquent pas
Outre les préjugés autour de leur domaine d’activité, les braves hommes que nous avons rencontrés sont également confrontés à d’autres difficultés. Abdoul Kader Akani est également propriétaire d’un salon de beauté au secteur 21 de Bobo-Dioulasso. Lui, est spécialisé dans les tatouages de henné et les produits cosmétiques depuis plusieurs années.
S’attelant à mettre du henné sur les sourcils d’une cliente, il nous fait part des difficultés auxquelles il est confronté dans son travail. « La plus grande difficulté que nous rencontrons surtout pendant les périodes de fêtes c’est l’impatience des femmes. S’il y a du monde, certaines ne veulent pas souvent attendre leur tour et cela crée des disputes. D’autres même préfèrent partir au lieu d’attendre. Il n’est pas du tout facile de travailler avec les femmes quand on est homme. Il faut être fort d’esprit, patient et surtout compréhensible », se nous confie-t-il sur les difficultés auxquelles il fait souvent face.
Avant la fin de nos échanges, nous avons la confirmation de ses dires car juste devant nous une dispute éclate entre des femmes assises dans un rang et attendant leur tour. Très vite l’assistant de Abdoul Kader Akani intervient et met de l’ordre dans le rang. Ce qui apaise les tensions.
Malgré tout, les salons de ces hommes sont toujours bondés de monde car ces derniers font preuve de professionnalisme dans ce qu’ils font. Selon Alida, cliente de Ahmed Ouédraogo, sa préférence pour les salons tenus par des hommes s’explique par le fait qu’ils sont accueillants et aiment le travail bien fait. Pour cette dernière, c’est le travail bien fait et l’accueil qui l’attire plus dans le salon de Ahmed.
Nikiéma Ramata quant à elle, est une cliente de Abdoul Kader Akani. Selon elle, ce dernier « sait très bien faire les tatouages et est aimable avec la clientèle. C’est pourquoi je viens toujours me faire belle chez lui. Aujourd’hui, je viens pour le tatouage et le gommage. Je profite en même temps pour encourager tous les hommes qui travaillent dans les salons de beauté à persévérer car ce sont des métiers nobles et fructueux ».
Notons que malgré tous les préjugés et les difficultés autour de ces métiers dits « métiers de femmes », les hommes arrivent à les pratiquer en bonne et due forme et tirent leur épingle du jeu. En plus, leur engagement permet de diminuer largement le chômage au Burkina Faso car ces chefs d’entreprises embauchent et forment plusieurs jeunes.
Leïla Korotimi Koté et Adjara Djamilatou Coulibaly/ Stagiaires